L'impasse libérale
Il est beaucoup question, ces temps-ci, de stigmatisation. Or, pour ne pas stigmatiser autrui, il ne faut pas hésiter à s'autocensurer. L'autocensure est la vertu cardinale, le pilier autour duquel tourne toute la théorie libérale. Comme on ne peut pas imposer à autrui, pour que le système fonctionne, il faut mieux s'imposer à soi-même.
Alors que nous dit cette théorie libérale :
« L’expression culturelle individuelle est un droit fondamental. A ce titre, si on prend l'exemple de l’excision, celle-ci est un droit fondamental de l’expression culturelle. Seulement, comme en vertu du droit fondamental, je ne peux pas imposer à autrui, je me pose la question de ce que je mets dans le panier de l’autocensure, et dans ce cas, je m’aperçois que j’ai un devoir d’autocensure. »
Et en l’espèce, l’excision relève du droit à l’enfance, dérogatoire au droit fondamental, parce qu'on ne peut pas porter atteinte de façon irréversible à l'intégrité physique de son enfant. On ne peut pas lui imposer cela.
Mais alors que se passe-t-il pour le père ou la mère qui ne veut pas s’autocensurer. S’il conteste cette dérogation, et qu’il dit : en vertu du droit fondamental, autrui ne peut pas m’imposer. On lui répond : oui mais par dérogation, tu ne peux pas imposer à autrui, en l’occurrence, à ton enfant. Alors, il répond, oui mais par le droit fondamental, on ne peut pas m'imposer, etc. Il semble qu’on tourne en rond. Non. Tout simplement, parce que droit fondamental et dérogation ont le même contenu, la même valeur. N’y a-t-il pas une impossibilité logique à hiérarchiser l’un par rapport à l’autre ou en d’autres termes, quelle est la légitimité de la dérogation puisqu’elle ne dit pas autre chose que le droit fondamental ? Comment l’un peut-il s’imposer à l’autre, justement ?
Comment sortir de cette impasse ?
Ce ne sont pas les récents développements de cette problématique aux États-Unis, plus précisément dans l'Arkensas, qui nous en sortirons.
En effet, dans cet État, une loi votée sur « la restauration de la liberté religieuse » affirme dans son principe qu'on ne peut pas obliger quelqu'un à poser des actes qui vont à l'encontre de ses convictions religieuses. Autrement dit, on ne peut pas lui en imposer contre sa religion.
Un médecin protestant ou catholique opposé à l'avortement peut faire valoir ses convictions religieuses pour ne pas intervenir.
De même, un traiteur, en raison de ses convictions religieuses, peut refuser de travailler pour le mariage de deux hommes, etc, etc.
En fait, ce droit fondamental de la conscience religieuse offre un véritable permis de discriminer, qui n'est pas fondamentalement nouveau aux États-Unis. Est-ce que ce n'est pas au nom de ce droit fondamental qu'un régime racial d'apartheid a pu exister pendant des décennies dans ce pays, pour la simple raison qu'on ne pouvait pas imposer à l'homme blanc de ne pas croire à l'infériorité des noirs.
C'est cette laïcté, qui s'est volontairement coupée les ailes, à la neutralité impuissante, dont certains rêvent pour ici !
On peut lui préférer une laïcité régulatrice, qui fait des choix politiques, (ces détracteurs disent : idéologiques) entre ce qui est de premier ou de second plan, ce qui est interdit et licite.
Il y a donc en présence une laïcité qui ne voudrait que s'autoriser à autoriser, sans se donner les moyens de penser les contradictions générées, et une autre qui ne s'interdit pas d'interdire.
Christophe Eloy
Après "Charlie Hebdo", la culture s'autocensure
Pour ne pas heurter la sensibilité du public, par mesure de sécurité ou pour éviter de raviver les tensions... Des producteurs, directeurs, élus ou mêmes artistes tentent de se justifier apr...
http://www.liberation.fr/culture/2015/01/29/apres-charlie-hebdo-la-culture-s-autocensure_1191212
Le terrorisme marque des points ? L'autocensure gagne du terrain.