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éloge de la mollesse

Le débarquement de Lalla en Gironde - Juin 1946

7 Juin 2022 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Archives

Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946
Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946
Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946
Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946
Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946

Photo 1 : " les Jacob dont la fille Anita est très mignonne, De Rio il y a Jacqueline Watel qui voyage avec ses parents ; nous faisons un groupe de quatre jeunes filles très agréable car il y a aussi une certaine Elyette Perpiguani qui a son mari à l'Ambassade à Rio et qui repart pour revoir sa mère, elle est toute jeune et ravissante".
Longtemps, je me suis demandé à quoi pouvait bien ressembler les amies que maman s'étaient faites pendant son voyage de retour. La réponse est là, sur cette photo. Je me souviens que papa racontait que sur le quai de la gare, 'en montant dans le train pour Paris, il avait été un peu jaloux de ces nouvelles copines de sa fiancée retrouvée parce qu'elle lui paraissait s'occuper bien plus d'elles que de lui.

Photo 2 : Les reines du "Passage de la Ligne". Il me semble que pour le passage de l'Équateur, maman racontait qu'il y avait eu un concours de beauté et qu'elle avait été élue première ex aequo avec une de ses copines.
Photos 3 & 4 :  "Elyette Perpiguani et moi sommes devenues très bonnes amies et sommes toujours ensemble".
Photo 5 : L'escale à Dakar : "vers 4h Elyette et moi sommes sorties pour faire un tour et nous avons trouvé une charrette à cheval conduite par un noir qui s'est offert pour nous promener" (...) " l'après-midi nous sommes reparties en charrette pour voir la plage élégante qui s'appelle la "Corniche" et nous avons pris un bain de mer, nous étions trois, Jacqueline Watel, Elyette et moi". 

 

 

Le 17 Juin 1946

 

Ma chère petite maman, après 4 premières journées assez occupées je suis contente de pouvoir te raconter tout ce qui m'est arrivé d'heureux et d'intéressant. D'abord mon arrivée à Bordeaux, nous étions entrés dans la Gironde à 3 heures trop tard pour la marée, aussi nous sommes nous arrêtés en face Royan, cette ville a été assez touchée mais nous ne pouvions le constater qu'avec des jumelles ; toutes les autorités sont montées à bord et ainsi nous avons eu nos passeports visés, nos billets de chemin de fer, nos papiers de change, nos cartons de ravitaillement (pour 3 jours) tout le soir même.

Je me suis donc couchée d'assez bonne heure car nous devions accosté le lendemain matin vers 6h, en effet à cette heure l'on voyait les quais et je n'ai naturellement pas ôté les yeux de cette direction car Pierre m'avait averti par télégramme la veille au soir qu'il viendrait me chercher, pense donc ma joie et mon émotion à l'idée de le revoir sur le quai ; nous nous sommes vus en même temps alors que le bateau était encore à une vingtaine de mètres ; aussitôt la passerelle mise je me suis précipitée à terre et nous étions bien heureux d'être enfin si près (1). Les bagages de cabine sont descendus avec moi, je n'ai ouvert qu'une valise et n'ai eu aucun ennui.

Le train était là, Pierre a eu une place auprès de moi et nous avons fait un excellent voyage, le parcours Bordeaux-Paris est le plus rapide de France et même d'Europe en ce moment et je t'assure que c'est vraiment admirable de voir combien les cheminots ont travaillé depuis la fin de la guerre, toutes les voies sont en excellent état, les ponts sont tous en voie de réparation et à part quelques maisons bombardées dans quelques petites gares je n'ai eu nullement l'impression de passer dans un cadre d'opérations de guerre ; la campagne était une merveille, les champs plein de coquelicots, bleuets, les cerisiers chargés de fruits, tout vert, gai, harmonieux, tout le train était rempli d'exclamations de joie et d'émerveillement mais je t'assure que l'on sent vraiment cette différence avec la nature du Brésil et notre enthousiasme était bien compréhensible. Nous avons très bien déjeuné au wagon-restaurant pour 75 frs par personne, salade de pommes de terre, harengs, macaronis, 

 

1

 

légumes variés, fromage et dattes (dont la vente est libre). Nous étions à 8h précise à la gare d'Austerlitz où nous attendait Mme Maxime et Philippe, ils avaient un taxi et j'ai ainsi pris contact avec Paris puisque la rue Jouffroy est plutôt à l'autre bout. Mme Eloy m'a accueillie avec une tendresse et une affection vraiment touchante et toute la famille de même, ils étaient tous en haut de l'escalier (2) ; Jeanine et Bernadette sont un peu engraissées mais n'ont pas tellement changé, Gérard est bien le même que sur la photo, Francis est un jeune homme et Pierre quoique un peu maigre n'a pas changé ; la femme de Philippe est charmante, elle m'attendait aussi avec beaucoup d'impatience et rêvait de moi depuis plusieurs nuits. Les grands parents ont été vraiment affectueux et les deux frères de Mme Eloy les oncles Jean et Jacques m'avaient envoyé des fleurs avec des cartes de visite et des paroles de bienvenue. Nous avons tout de suite été diné et à la fin Mr. Dervieu a fait ouvrir du champagne en mon honneur, c'était vraiment trop gentil ; plus tard je suis monté dans ma chambre accompagnée par tous, car il fallait bien monter mes 7 valises (3). Je suis installée à l'étage au dessus, une belle et grande chambre blanche et verte, un lit d'un mou merveilleux (4)deux armoires à glace derrière un paravent en toile de Jouy, un lavabo ; aux fenêtres et sur le lit des rideaux et un dessus de lit blanc, sur la cheminée de magnifiques oeillets roses, enfin une chambre préparée avec un soin et un goût qui m'ont fait bien plaisir ; j'ai très bien dormi et le lendemain matin je devais être prête vers 11h pour aller au mariage civil de Nicole où il n'y avait que très peu de monde, les Marcel qui ont été très aimables ; vendredi après-midi j'ai rangé mes valises, aidée par Jeanine et Mme Eloy et vers 5h 1/2, ses frères, belles soeurs et enfants sont venus prendre le thé et surtout pour me connaître, tous sont vraiment charmants et on ne peut plus affectueux, (je t'en parlerai plus en détail). Samedi grand jour,

 

2

 

le mariage était à midi, j'avais mis mon tailleur en soie bleu marine et mon chapeau bleu ciel, la cérémonie était très belle, Nicole avait une jolie robe très simple et un magnifique voile en dentelle et tulle ; à la sacristie j'ai revu un grand nombre d'amis et de personnes de la famille, tous ravis de me revoir et moi encore plus ; il y avait même deux des demoiselles Joisson (Amélie n'est pas morte mais n'y était pas ), Michel Corblet qui devait voyager dans l'après-midi est quand même venu, et il a avoué que c'était surtout pour me voir, il a été très affectueux, enfin tous et toutes m'ont bien montré leur amitié et affection. Après la messe, il y avait un grand déjeuner de 120 couverts pour la famille (c'était dans un hôtel en face la maison des Marcel) nous étions par petites tables et nous nous sommes mis Philippe Janine Pierre et moi, déjeuner excellent, champagne discours etc... à 4h l'orchestre a commencé et les autres invités sont arrivés, les personnes que j'ai revu avec grand plaisir sont Mme Voisin et Thérèse, savais-tu que quelques meubles à nous avaient été gardés par elle ; c'est épatant, la semaine prochaine nous devons aller à Versailles, Jeanine attend son 2ème bébé. Mme Voisin n'a pas changé elle m'a demandé ton adresse car elle veut t'écrire ; les Jean Cauvin aussi très gentils, (j'oubliais de te dire que Valentine et Yvonne de passage étaient venues diner la veille au soir, pas trop changées ; Mme France m'avait écrit une lettre très affectueuse que je t'enverrai un autre jour ou entre autre chose elle me disait le message que Jean-Jean avait laissé pour ses amis "qu'il souhaitait à tous une "chic" vie". J'ai pleuré en lisant cette lettre car vraiment on retrouvait bien dans ces mots le Jean-Jean d'autrefois ; il était parait-il devenu très beau garçon, il y a une photo de lui très bien, (lorsque j'irai au Havre, j'en demanderai une aussi pour vous). Pour en revenir au mariage, nous avons dansé jusqu'à 8 h et après sommes rentrés, ravis de notre journée ; je t'assure que je ne me sentais pas du tout dépaysée et il me semblait avoir quitté ces personnes depuis très peu de temps. Dimanche messe, petite promenade au parc Monceau qui est tout près d'ici et l'après-midi, visite à Mr. Moussallier (le frère de celle qui était au Havre) et sa femme, ils adorent toute la famille et naturellement étaient anxieux de me connaître ; nous étions invités à goûter chez un oncle de Pierre, Jacques Dervieu car c'était la 1ère communion du plus petit cousin ; gateaux délicieux tous empressés et gentils (5). Ce matin, je suis sortie avec Jeanine pour mes tickets de rationnement, j'en ai eu seulement pour une semaine car il me faut demander une carte de permis de séjour, j'irai à la préfecture ; voilà ma petite maman le compte rendu de ces premières journées  ; aujourd'hui Pierre a repris le bureau et nous ne nous 

 

3

 

voyons plus qu'à l'heure des repas et le soir, tu sais maman, pour le moment je ne veux pas aller en Italie, je suis trop heureuse d'être avec Pierre et lui aussi est tout transformé, nous devons pour le moment profiter le plus possible de notre compagnie ; vers le 15 Juillet Mme Eloy prend ses vacances, nous partirons nous aussi, c'est en Auvergne où parait il la nourriture est excellente, cela fera beaucoup de bien à Pierre et vraiment ce sera si bon des vacances ensemble. Nous n'avons eu aucune déception l'un de l'autre et nous sommes retrouvés comme nous sommes quittés avec naturellement des idées plus fermes et personnelles que nous n'en avions à 18 ans. Pierre a un caractère doux et affectueux qui me fait beaucoup de bien et moi je lui passe de ma gaieté et de ma joie de vivre, il m'en est très reconnaissant et Mme Eloy aussi m'a remercié de faire le bonheur de son fils ; donc maman chérie nous nous aimons beaucoup et nous avons été trop longtemps séparés pour le faire à nouveau du moins tout de suite ; nous parlons de date de mariage approximativement vers fin septembre début octobre, c'est à dire (dans) 3 mois et maintenant je m'adresse à papa, j'ai un peu de toupet après tout le bonheur qu'il m'a donné en me laissant partir de lui demander encore quelque chose mais je voudrai qu'il réfléchisse bien et qu'il décide selon son coeur et son affection pour nous ; qu'il voit si vraiment maman ne pourrait pas être là pour notre mariage ; voilà mon petit papa si tu dis non cette fois je saurai que c'est parce que raisonnablement tu ne peux pas, sinon tu sauras que tu nous rendras une fois de plus tous très heureux et là alors je n'aurai que mon effection pour toi pour te remercier et t'aimer beaucoup beaucoup malgré que je sois une méchante fille, mais tu me pardonnes n'est ce pas ? Voilà mes parents chéris tout ce que mon coeur dit aujourd'hui et tout ça fortifié par l'amour de Pierre qui m'approuvera et vous ai chaque jour plus reconnaissant de m'avoir élevé pour lui et pour que nous soyons heureux. Un baiser très très affectueux à tous, j'ai vos photos sous les yeux et je retouve dans chacune vos sourires et vos yeux avec beaucoup d'affection. 

Laura

 

Ma petite Anne Claire, ta lettre m'a fait bien plaisir ; je t'écrirai à toi toute seule un autre jour ; j'ai beaucoup beaucoup de choses à te raconter. Gérard est bien gentil et je l'aime beaucoup car il me rappelle ma petite nunuche. Un gros baiser.

Lalla (6)

 

4

 

le 19 - avant de mettre la lettre à la poste, je veux avertir papa que Pierre a reçu la lettre attendue. Hier j'ai eu tous mes bagages sans ennui. Enfin tout en ordre et je vous écrirai la suite de mes journées bientôt. Encore de gros baisers -

Pierre me charge de vous embrasser -

Je commence la liste de ce que vous pourrez m'envoyer - du riz - du sucre - mes radiographies -

 

 

(1). Longtemps, très longtemps, je me suis demandé comment Laura et Pierre s'étaient retrouvés à la descente du bateau. La réponse est là, dans cette lettre, en quelques syllabes, douze au total : "et nous étions bien heureux d'être enfin si près". Un presque-alexandrin. C'est beau comme du Corneille.

(2). Longtemps, je me suis demandé comment s'était passé les retrouvailles avec la famille. La réponse est là, dans cette lettre, en quelques mots : "ils étaient tous en haut de l'escalier". On en compte sept, un peu serrés sur cet espace, avec des sourires éclatants. Étaient-ils sur le palier depuis un certain temps déjà ? Avec des sourires un peu figés, comme en préparation ? Comment faisait-on avant les SMS, dans ces cas-là quand on attendait quelqu'un ? On devait sans doute guetter à une fenêtre. "Ils arrivent, ils arrivent", et on se mettait en place. Oui, ça a dû se passer comme ça.
C'est émotionnant de se représenter une scène qui a eu lieu dans un endroit qu'on a bien connu des années plus tard. Le palier du deuxième étage du 32 de la rue Jouffroy, quand on y a ses propres souvenirs, sur ce palier.

(3). "plus tard je suis monté dans ma chambre accompagnée par tous ( car il fallait bien monter mes 7 valises)".J'aime beaucoup cette scène également, très cinématographique, où toute la famille monte d'un étage, avec chacun une valise de Laura à la main.

(4.) "un lit d'un mou merveilleux" Ah, mais voilà de qui je tiens mon goût pour la mollesse !

(5). Ensuite en quelques phrases, Laura dépeint toute une société avide de s'échanger de l'affection. Une société désireuse de se présenter comme l'envers de la guerre, encore si proche, en effaçant les souffrances par des témoignages les plus nombreux possibles d'affectivité. C'est comme si elle flottait dans l'air, palpable. On dira aussi que Laura est sans aucun doute un très bon vecteur de tous ces flux d'affects alors en circulation.

(6). Un fait notable. On assiste à un changement d'état. La jeune fille devient jeune femme. Après quatre jours en France, Lalla se mue en Laura. Mais demeure Lalla pour sa petite soeur

 

 

Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946Le débarquement de Lalla en Gironde  - Juin 1946

Sur cette photo, de gauche à droite, on reconnait "Jeanine et Bernadette (qui) sont un peu engraissées mais n'ont pas tellement changé". C'est pas faux. Elles sont magnifiques, le visage tout rond comme des poupées russes".

Toujours à gauche, tenant le bras de Laura, on reconnait Michel Corblet ; sa présence au mariage est avérée :"Michel Corblet qui devait voyager dans l'après-midi est quand même venu, et il a avoué que c'était surtout pour me voir, il a été très affectueux"
Peut-être se souvenait-il de l'époque ancienne, avant-guerre, au Havre, quand il l'invitait à un après-midi en lui envoyant un carton. Ah, on savait mettre les formes pour inviter les jeunes filles en ce temps-là ! Même si, au préalable, on ne s'était pas vraiment renseigné sur l'orthographe exacte du nom de famille de ladite jeune fille (le grecquisant quelque peu).

Ensuite, on a Laura et Pierre, fraichement réunis, donc. À côté, Janine et Philippe, fraichement mariés : "la femme de Philippe est charmante, elle m'attendait aussi avec beaucoup d'impatience et rêvait de moi depuis plusieurs nuits".

Et aussi d'autres visages familiers de l'enfance mais présentement en attente d'identité moins vague.

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