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éloge de la mollesse

Ça commence à faire

10 Octobre 2018 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'humeur des jours, #De la mollesse

Toulon, avenue de la République - photo Gérard Dubois

Toulon, avenue de la République - photo Gérard Dubois

 

"Ça commence à faire", disait mon père, une fois que je lui avais annoncé mon âge, le jour de mon anniversaire.

Et il avait raison, ça commençait à faire de plus en plus sérieusement. Et il était bien celui à même de saluer la performance, comme qui dirait, de l'intérieur. Il pouvait reconnaître cet effort méritoire de persévérance dans mon être, alors même qu'il connaissait mes faiblesses, mes failles, parce que d'une façon ou d'une autre, il les partageait.

Il y avait toute la force d'une intuition empathique dans son "ça commence à faire", et j'y entendais comme une mesure pointilleuse du chemin parcouru.

Mais cette phrase, au fond, c'est moi qui aurait pu me la dire dans l'intimité de ma conscience, lors de mon anniversaire, parce que c'était bien vrai que j'estimais ne pas avoir démérité à empiler ainsi les années, sans me perdre de vue, sans m'être oublié, sans avoir trop laissé ma chère âme sur le bas-côté, en ayant su, à quelques degrés près, garder un cap.

Il me semblait que sa formule prolongeait le satisfecit que je m'accordais déjà.

 

C'était, en quelque sorte, son cadeau d'anniversaire. Le seul, d'ailleurs, auquel j'avais droit. Je n'en demandais pas plus, il me suffisait amplement.

À la réflexion, je me demande s'il ne se l'adressait pas aussi à lui-même, pour avoir pu mené un fils jusque-là. Et il n'avait pas tort, c'est une chose jamais facile, jamais gagnée d'avance.

 

Et puis, ne contenait-elle pas cette idée d'un encouragement à continuer l'affaire, sans avoir toutefois à tutoyer mon destin dans un bras-le-corps quotidien et épuisant. L'essentiel était là désormais, inutile de se mettre martel en tête, de me tracasser plus avant. Ce que "ça commence à faire" disait, c'est que le temps avait passé, que certaines choses n'étaient plus de mise, comme par exemple, un volontarisme débridé.

C'était comme si la seule longueur de ma vie la qualifiait, lui donnait toute sa valeur, nonobstant ce qu'elle pouvait bien contenir. Dans ce sens, la quantité vaut pour la qualité. Et au fil des ans, "ça commence à faire" résonnait en moi comme une absolution paternelle, comme un c'est-pas-si-mal-mon-gars, on aurait pu penser que ça serait plus difficile pour toi, mais tu en es sorti, contre toute attente, plutôt honorablement, sans trop d'anicroches, tu as traversé les arcanes de l'existence... je ne dirai pas avec brio, n'exagérons rien, mais compte tenu de... etc, etc, et maintenant tu peux aller en paix.

 

Peut-être toute sa philosophie était-elle là. La vie, année après année, ça commence à faire. Et un beau jour, ça commence à bien faire. La plaisanterie a assez duré. Il est temps de s'éclisper.

 

Christophe Eloy

 

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