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éloge de la mollesse

Revenu de tout mais parti de loin

31 Octobre 2017 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Gérard Dubois, #L'humeur des jours

  Revenu de tout mais parti de loin

Texte et photo - Gérard Dubois

 

Je ne suis pas sûr d'avoir fait cette photo... Réglages, cadrage, déclenchement : l'appareil a agi en totale autonomie... Dans la rue, les gens sont souvent lisses, voire gris, et donnent assez peu mat!ère à l'imagination. D'autres, comme lui, sont dans l 'excès de signifiants.
Il a connu San Francisco à la fin des années soixante, Woodstock, la route 66, a écouté Zappa et Neil Young, a lu Brautigan et Jim Harrison et sait que " l'amour est un chien de l'enfer "... Il a maintenant troqué sa Harley pour un VTT urbain et sophistiqué mais a gardé quelques options de son antique monture : antennes, tête de mort, bandana et RayBan... Peut-être a-t-il eu la tentation de Bénarès et de Katmandou... Mais sans doute ai-je tout faux. Peut-être n'est-il qu'un chef d'entreprise ou un honnête commerçant qui a rêvé sa vie : deux détails, comme une absence de marquage, m'y font penser... Sa peau bronzée sur les plages naturistes ne comporte aucun tatouage, et que viennent faire ici ces sudistes espadrilles ?

Et que penser de la petite serviette proprement dépliée pour ne pas salir son short vert tendre assorti aux pneus de son vélo.

Et pourquoi s'assoit-il devant sa monture comme une métaphore de la charrue avant les boeufs ?

Sans doute sait-il que garder le fondement immaculé et n'attendre personne, c'est cela la puissance.

Ou encore, peut-être n'a-t-il simplement cherché qu'à s'insérer dans cinquante nuances de vert.

Enfin on se consolera de ne rien savoir sur lui, en se disant que les meilleures biographies sont celles qui sont totalement inventées.

 

 

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Enquête métaphysique.

27 Octobre 2017 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #au regard de l'éternité

photo -  Gérard Dubois

photo - Gérard Dubois

 

 

L'autre jour, dans le cimetière Montparnasse, je tombe sur cette tombe.

 

En attendant la Résurrection

Ici repose

M. Jacques François Semart

1785 - 1859

 

Quelque chose attire mon attention. Ça ne colle pas avec ma représentation habituelle de la mort. Que ce monsieur repose ne donne pas vraiment de prise à mon étonnement. On connait la formule usuelle " Repose en paix " et l'idée que la mort soit un repos est communément admise. Mais c'est le "En attendant la Résurrection" qui me fait problème. L'attente n'est-elle pas une activité réservée aux vivants ? Il y a cette pièce de théâtre où des personnages en attendent en vain un autre. Qu'en est-il de Jacques François Semart. Aujourd'hui, à ce moment précis où je contemple sa tombe, est-il toujours en train d'attendre ? Et qu'en est-il de ce repos s'il n'a pas encore trouvé le chemin de la résurrection ? Ne se trouve-t-il pas bien tourmenté, dans cette attente, dans ce sommeil.

 

À quelques jours de là, j'ouvre les Évangiles (ça m'arrive de temps en temps) et je redécouvre que ces pages regorgent d'annonces sur le retour du Fils de l'homme, (le Fils de l'homme étant l'expression par laquelle Jésus se désigne lui-même). Dans les Évangiles, Jésus est un peu dans la situation du type qui va quitter ses copains mais qui tient absolument à fixer un rendez-vous pour les revoir dans les meilleurs délais.

Sauf que ce prochain rendez-vous, tel qu'Il le décrit, est tout de même un peu inquiétant.

Il prend la forme d'une Apocalypse, de la Révélation ultime, d'un Jour ou d'un Jugement dernier. C'est une évidence, en les lisant, Jésus est beaucoup dans le quatre Évangiles, un prophète de l'Apocalypse, et souvent de l'un à l'autre, on retrouve des formulations presque identiques.

Par exemple Mathieu 24, v.29-31, L'avènement du Fils de l'homme.

" Aussitôt après la détresse de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées / Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme; alors toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine; et elles verront le Fils de l'homme venir dans les nuées du ciel dans la plénitude de la puissance et de la gloire / Et il enverra ses anges avec la grande trompette, et des quatre vents, d'une extrémité des cieux à l'autre, ils rassembleront ses élus. "

Ou encore Luc 21, v.25-28, la venue du Fils de l'homme.

" Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l'angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation / tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde; car les puissances des cieux seront ébranlées / Alors, ils verront le Fils de l'homme venir entouré d'une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire / Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête car la délivrance est proche ".

Quand doit venir cet Apocalypse, seul le Père le sait, mais cet événement est proche. La mesure de temps utilisée est l'heure, pas l'année, encore moins le siècle. Mathieu 24, v.44 " Voilà pourquoi tenez-vous près, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de l'homme va venir ".

Ce qui signifie que la génération présente doit voir cet événement. Luc 21, v.32 " En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n'arrive ".

 

À ce point de mes réflexions, je sens bien que je dois les approfondir. Je ne peux en rester là. Or comme chacun sait, la chrétienté s'est vite retrouvé face à un petit problème. Le Fils de l'homme a fait faux bond. Il n'est pas revenu. Il a posé une sorte de lapin cosmique à ses ouailles. Ils ont attendu tant qu'ils ont pu. Mais non. Alors le petit problème de la chrétienté est vite devenu : Quoi faire avec l'immortalité ? Quid de celle-ci puisque les Évangiles ne la concevait que par la résurrection au Jugement dernier. Entretemps, il s'agit bien de reposer, en sommeil, dans la poussière de la terre, mais désormais sans espoir de rédemption puisque le Sauveur est toujours aux abonnés absents.

Les premiers chrétiens vont faire preuve d'une belle patience. Mais quand même au Vème siècle, les Pères de l'Église sont bien obligés de bricoler une idée de l'immortalité en adéquation avec cette donnée historique, le Fils de l'homme n'est pas revenu.

Or au Vème siècle, l'Église s'est hellénisée. Ses Pères sont de culture grecque et elle s'est éloignée de la tradition juive dans laquelle baignent les Évangiles.

Pour l'immortalité de l'âme, ils vont se tourner vers Platon.

 

Je dois donc poursuivre mon enquête dans cette direction. Et c'est dans le Phédon que se trouvent les réponses. On y trouve des passages comme : L’âme ressemble au divin, à l’immortel, à l’intelligible et uniforme et indissoluble et inchangeable...Elle s’en va vers le pur et éternel et immortel et inchangeable dont elle est proche, " qui affirme l'immortalité individuelle consubstantielle de l'âme. Une immortalité de plein droit, en somme. Et la mort est simplement la séparation de l'âme immortel, indestructible et du corps mortel.

Le gain pour les Pères de l'Église est bien évidemment qu'en reprenant la doctrine platonicienne de l'âme, ils peuvent faire l'économie de l'étape - résurrection apocalyptique.

À mon avis, on est bien inspiré quand on prend conscience que les Pères de l'Église ont structuré, dans bien des domaines, la psyché occidentale, et aussi, bien sûr, celui concernant l'âme. Ainsi, même un athée qui enterre un de ses proches tentera de se consoler de cette perte en imaginant l'âme du défunt persister, s'envoler. En tout cas, il se représentera une entité avec laquelle il pourra poursuivre une sorte de dialogue.

Même quand on veut échapper aux Pères de l'Église, on reste en leur pouvoir.

 

Mais c'est qu'il faut leur reconnaître du génie, comme celui de réinterpréter le texte d'origine d'une façon contradictoire, tout en laissant à penser que rien n'est changé. Le texte premier est toujours là, sauf que désormais, par la force d'une nouvelle interprétation, on doit le voir autrement. La puissance de l'herméneutique, c'est quelque chose.

Dans l'Église, il y a un nom pour désigner cela : l'irénisme, qui est cet art d'annihiler toutes les oppositions qui peuvent surgir. Et il a fonctionné sur bien des points de la doctrine.

 

Mais pour en revenir à Jacques François, comment se fait-il que sur la tombe de cet homme, en plein milieu du XIXème siècle, on retrouve cette formulation purement évangélique : "En attendant la résurrection, Ici repose..." qu'un premier chrétien n'aurait pas renié.

Pour répondre à cette question, je décide de m'épargner une enquête approfondie. Nous savons tous que si quelque chose est refoulée, tôt ou tard, il fait retour, (c'est le retour du refoulé). Et là, le refoulé était le texte lui-même. Ce qui est écrit n'est pas ce que vous devez lire ou entendre. Il y a ce qui est au vu et au su de tout le monde mais ce n'est pas ce qu'il faut comprendre. Il y a un forçage de la lecture qui est aussi une interdiction de penser.

Et ce forçage a fonctionné pendant des siècles et des siècles. Pendant des siècles d'intense foi chrétienne où les Évangiles, comme "la lettre volée" d'Edgar A. Poe, sont visibles par toute la communauté. "La lettre volée", elle-aussi, est visible par tout ceux qui passent dans la pièce mais personne ne la voit.

 

La Réforme va cependant être ce moment où le refoulé fait retour.

Luther déclare sans détour : " Bien que je permette au pape d'écrire des articles de foi (...) tel que l'âme est immortelle et toutes ces monstruosités sans fin."

Un de ses prédécesseurs, Tyndale avait, lui, écrit : " Si les âmes vont au ciel dans une aussi grande gloire que les anges, selon votre doctrine, dites-moi pourquoi il y aurait la résurrection " telle qu'elle est abondamment décrite dans les Évangiles.

Un des disciples de Luther écrivait à son tour : " Luther, s’attachant plus à la résurrection préférait se concentrer sur la métaphore scripturaire du sommeil. “Car tout comme quelqu’un qui tombe endormi et arrive sans s’y attendre au matin quand il s’éveille sans savoir ce qu’il s’est passé nous allons tout d’un coup nous lever au dernier jour sans savoir comment nous sommes morts. Nous allons dormir jusqu’à ce qu’Il vienne et qu’Il frappe à la tombe et dise ‘Docteur Martin, debout ! Alors je me lèverai tout d’un coup et je serai avec lui pour toujours.’ "

Pour les Réformistes, la doctrine de l'immortalité de l'âme est donc, à la fois, monstrueuse, païenne (elle vient de la philosophie grecque) et pour faire bonne mesure, satanique. Il n'y a que Satan pour dire à Ève : " Vous ne mourrez point " si vous mangez cette pomme, alors même que Dieu a dit le contraire au premier couple biblique.

Bref pour résumer, le protestantisme prône une rupture avec la tradition catholique et un retour à l'Évangile tel quel, la sola Scriptura, l'Écriture seule.

 

Me voici parvenu au terme de mon enquête et je suis, maintenant en mesure de supputer au simple regard de son épitaphe, et avec de fortes probabilités d'avoir raison, que Monsieur Semart était de culte protestant.

Bien sûr, la supputation est une chose mais une vérification s'imposerait. Il faudrait consulter des archives, étudier des généalogies. Et j'avoue que cela m'ennuie. Je préfère m'en tenir à ma conclusion, juste à partir des idées, tout en m'émerveillant de voir à quel point quelques mots gravés sur une pauvre tombe évoquent toute une histoire religieuse multi-séculaire. Je me dis, la persistance de l'esprit, c'est quelque chose.

 

Néanmoins, pour avoir le coeur net, j'ai une solution. La prochaine fois que je rendrais visite à mes chers parents, leur caveau est à quelques encablures de cette tombe, j'irai interroger directement Jacques François Semart sur cette question de sa confession.

Parfaitement, il arrive, et plus souvent qu'on ne le pense, que les âmes mortes répondent aux questions des vivants quand ils sont dans l'attente de la résurrection qui viendra au son de la longue trompette.

 

 

Commentaires

MC   L'épitaphe "En attendant la Résurrection" est lié, il me semble à St Vincent de Paul, un catholique !

Depuis la résurrection du Christ, nous savons que la mort n’est pas le dernier mot, que la vie est victorieuse, qu’il y a une vie après la mort. La mort, c’est le début de notre vie auprès du Père, d’où nous pourrons prier pour nos proches en attendant la résurrection de tous.‬


‪Paul Maurice Vous avez sans doute raison. Il y a une question que je ne me suis pas posée. Un protestant pouvait-il être enterré dans un cimetière catholique au milieu du 19è siècle ? Néanmoins St Vincent de Paul ne marque-t-il pas un renouveau au 17è du catholicisme en reprenant des éléments de la Réforme, pour mieux lui couper l'herbe sous le pied, en quelque sorte !‬

Néamoins je m'interroge sur votre formulation : "La mort, c’est le début de notre vie auprès du Père, d’où nous pourrons prier pour nos proches en attendant la résurrection de tous." et je la trouve étrange puisqu'elle mélange l'immortalité individuelle de l'âme, façon Platon, à la grecque, et la résurrection collective de la Bible, comme dans la tradition juive. Il faudrait bien choisir puisque ces deux conceptions ne sont pas compatibles, mais ce que vous écrivez est un bon exemple de cet esprit de synthèse à la chrétienne qui s'y connait pour annuler les oppositions. Ce qu'on appelle l'irénisme.‬ Une forme de syncrétisme, ou encore un éclectisme où tout se vaut, tout est sur le même plan.


Elvire Très juste Monsieur, j'apprécie votre TEXTE si bien exposé 1984‬

 

 

 


 

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Noyade

7 Octobre 2017 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Police des âmes et des frontières

photo Gérard Dubois

photo Gérard Dubois

 

A celui qui n'est pas éveillé, il n'arrive que des rêves.

 

Lorsque ma tête a émergé au-dessus du niveau des eaux, toute ruisselante, les yeux toujours fermés, impossible à ouvrir sous la morsure du sel, j'ai entendu sa voix qui criait mon prénom en se vidant de son être jusqu'à une longue vibration de bonheur.

Un cri comme celui qui avait dû présider à ma naissance et comme jamais je n'aurais soupçonné qu'on puisse un jour en lancer un vers moi. Il me faisait fier de revenir dans le monde supra-marin. Une bouée m'a heurté le front, j'ai tendu les bras pour la saisir. D'autres bras m'ont bientôt hissé sur une embarcation.

 

Auparavant j'avais glissé dans cette masse verdâtre préférant soudain sa tranquillité au tumulte chaotique et inhospitalier de sa surface. Je m'enfonçais en elle. À un certain moment il y eut un tabouret posé là au fond de l'océan, un étrange tabouret. On s'est observé l'un et l'autre et puis il a repris sa vie normale d'objet inanimé. A mesure que je me rapprochais de lui, il s'allongeait, il se démesurait, ou bien était-ce moi qui diminuais jusqu'à tomber le long d'un de ses pieds ?

Tout d'un coup l'endroit m'a déçu. Il n'était qu'à moitié accueillant, et surtout habité par une immense solitude à laquelle je ne trouvais pas d'issue.

J'ai eu l'espoir de remonter. Des bulles d'air me sont passées sous le nez, mes poumons se vidaient, mes yeux se sont fermés et j'ai vu... j'ai vu ce qu'on voit dans ces cas-là... ma vie... . Non pas ma vie banale de tous les jours, heureuse et malheureuse, mais ma vie scripturaire !

Un mélange de rêve et de réalité, de fiction et de rêve que j'avais pris soin d'écrire, année après année, décennie après décennie, sans trop savoir pourquoi, à la recherche d'un vague plaisir, la plupart du temps déçu et vite oublié.

Ce n'était pas la mémoire de ma vie qui me revenait, mais bien cette sur-mémoire, arrachée à la prison des jours, plus signifiante, mieux ordonnée, plus cohérente. À travers ces mots qui défilaient, ma vie semblait avoir eu un sens.

 

Je me suis abandonné en eux, ils m'ont accompagné jusqu'à un point de non-conscience.

 

 

 

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Puissance en acte

4 Octobre 2017 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Considérations spinoziennes, #L'instant qui vient

Puissance en acte qui porte juste la totalité de ce qu'elle est en mesure de porter. Rien de plus, rien de moins. -  Photo  - GD

Puissance en acte qui porte juste la totalité de ce qu'elle est en mesure de porter. Rien de plus, rien de moins. - Photo - GD

 

Proposition VII, 

 

L'effort (conatus) par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien en dehors de l'essence actuelle de la chose.

Éthique 3, Spinoza.

 

 

À chaque instant, l'homme est tout ce qu'il peut être. Il n'a pas d'autre puissance qu'actuelle. D'ailleurs, son essence est cette puissance. Inutile donc, comme pourtant beaucoup en ont le désir, de se tenir en retrait de l'instant présent, au nom d'un passé qui aurait été plus glorieux, d'un futur qui sera éventuellement plus intense, ou même à cause de ce présent dont on a jugé qu'il ne peut être que déceptif.

Pour Spinoza, la possibilité d'une puissance en réserve est vaine. L'effectuation de son être ne peut être qu'actuelle. Et il y a à se tenir sur la scène du monde.

L'homme est comme un joueur de carte qui a chaque main devrait mettre sur le tapis la totalité de ce qu'il possède, sans reste.

Ou encore, Deleuze disait qu'en matière d'érudition, il n'avait pas dans son cerveau, à sa disposition, des connaissances bien rangées, comme dans un hangar et qui serait indexées et mobilisables à volonté. Pas de stock. Comme si l'instant présent aspirait toute la pensée nécessaire à son actualisation. Rien de plus, rien de moins.

 

En fait la proposition VII de Éthique 3 permet de considérer à nouveaux frais, ces sentiments comme la plainte sur son propre sort, les regrets, la culpabilité.

 

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