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éloge de la mollesse

marcel proust

Bourgeoisie et aristocratie

11 Octobre 2020 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #De la poésie, #Marcel Proust

photo - Christophe Eloy

photo - Christophe Eloy

 

Il importe que les grands maintiennent les hautes traditions seigneuriales, par des paroles qui n'engagent à rien. C'était aussi parce qu'elle cherchait, comme toutes les personnes de son milieu, à dire des choses qui pouvaient faire le plus de plaisir à l'interlocuteur, à lui donner la plus haute idée de lui-même, à ce qu'il crût qu'il flattait, qu'il honorait ses hôtes, qu'on brûlait de le connaître. Vouloir donner aux autres cette idée agréable d'eux-mêmes existe à vrai dire quelquefois dans la bourgeoisie. On y rencontre cette disposition bienveillante, à titre de qualité individuelle.(...) Elle fleurit en tout cas isolément. 
Dans une partie importante de l'aristocratie, au contraire, ce trait de caractère a cessé d'être individuel ; cultivé par l'éducation, entretenu  par l'idée d'une grandeur propre qui ne peut craindre de s'humilier, qui ne connaît pas de rivales, sait que par aménité elle peut faire des heureux et se complaît à en faire, il est devenu le caractère générique d'une classe. Et même ceux que des défauts personnels trop opposés empêchent de le garder dans leur coeur en portent le trace inconsciente dans leur vocabulaire ou leur gesticulation.

Le côté de Guermantes, Marcel Proust

 

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Des choses confuses et inadéquates

16 Septembre 2020 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #De la poésie, #Marcel Proust

Graceland - photo Gérard Dubois

Graceland - photo Gérard Dubois

 

Je commençais à me rendre compte que le système des causes nombreuses d'une seule action, dont Albertine était adepte dans ses rapports avec ses amies quand elle laissait croire à chacune que c'était pour elle qu'elle était venue, n'était qu'une sorte de symbole artificiel, voulu, des différents aspects que prend une action selon le point de vue où on se place.
(...) Que de fois il m'est arrivé, après avoir cherché à comprendre les rapports de deux êtres et les crises qu'ils amènent, d'entendre tout d'un coup un troisième m'en parler à son point de vue, point de vue qui a peut-être été la cause de la crise !
Et si les actes restent aussi incertains, comment les personnes elles-mêmes ne le seraient-elles pas ?
(...) En somme, je ne comprenais toujours pas davantage pourquoi Albertine m'avait quitté.

 

Albertine disparue, chap.2, Marcel Proust.

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Une mort qui ne conclut rien

14 Septembre 2020 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #De la poésie, #Marcel Proust

Et le ciel se reflétait sur sa tombe.

Une succession de périodes sous lesquelles, après un certain intervalle, rien de ce qui soutenait la précédente ne subsistait plus dans celle qui la suivait, ma vie m'apparut comme quelque chose d'aussi dépourvu du support d'un moi individuel identique et permanent, quelque chose d'aussi inutile dans l'avenir que long dans le passé, quelque chose que la mort pourrait aussi bien terminer ici ou là, sans nullement la conclure, que ces cours d'histoire de France qu'en rhétorique on arrête indifférement, selon la fantaisie des programmes ou des professeurs, à la Révolution de 1830, à celle de 1848, ou à la fin du Second Empire.

 

Albertine disparue, chap.2, Marcel Proust.

 

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Avoir fait corps

1 Septembre 2020 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #De la poésie, #Marcel Proust

Avoir fait corpsAvoir fait corps

 

 

N'était-il pas, cet hôtel de Balbec, comme cet unique décor de maison de théâtres de province, où l'on joue depuis des années les pièces les plus différentes, qui a servi pour une comédie, pour une première tragédie, pour une deuxième, pour une pièce purement poétique, cet hôtel qui remontait déjà assez loin dans mon passé ; et toujours entre ses murs avec de nouvelles époques de ma vie, que cette seule partie restât la même, les murs, les bibliothèques, la glace, me faisait mieux sentir que dans le total, c'était moi-même qui avait changé, et me donnait ainsi cette impression que n'ont pas les enfants qui croient que les mystères de la vie, de l'amour, de la mort sont réservés aux adultes, qu'ils n'y participent pas, et qu'on s'aperçoit avec une douloureuse fierté avoir fait corps au cours des années avec notre propre vie.

 

Albertine disparue, chap.1, Marcel Proust.

 

 

 

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Toute honte bue

7 Mars 2019 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Toute honte bue, #Considérations spinoziennes, #Marcel Proust

Un ciel sans nuage par-dessus les tours - photo Christophe Eloy

Un ciel sans nuage par-dessus les tours - photo Christophe Eloy

 

La honte : ce qu'ils en disent.

 

- Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ?

- Épargnez la honte à quelqu'un.

(Nietzsche - le Gai Savoir, Livre III, para. 274) 

 

Pour Spinoza, la honte est un affect dérivé d'un des trois fondamentaux, à savoir la tristesse, (les deux autres étant le désir et la joie). La honte est une tristesse accompagnée d'une cause intérieure, à savoir soi-même. En ce sens, elle est une sorte de haine inversée, puisque celle-ci est une tristesse accompagnée d'une cause extérieure, et qui en retour se dirige vers cette chose extérieure. 

La honte sera donc une forme de haine de soi. Elle vient de soi et retourne vers soi.

Si on a fait quelque chose qu'on imagine affecter les autres de tristesse et avoir mérité ainsi d'être blâmé par eux, on se considérera soi-même avec tristesse, pour cette tristesse faite à autrui.

La modalité qui détermine la honte est l'imitation. Elle pose un cadre général, c'est-à-dire si un individu que j'imagine semblable à moi est triste, ceci me rendra triste à mon tour, parce que je vais imiter sa tristesse, (même si je n'ai aucune affection particulière pour ce quelqu'un), or avec la honte, comme on vient de le voir, la cause de la tristesse d'autrui n'est pas extérieure puisque j'imagine que c'est moi qui en est la cause. 

La honte me fait imiter la tristesse d'un individu, alors même que je m'imagine être la cause de sa tristesse. Il y a là, avec la honte, un effet-écho amplificateur pour ma propre tristesse

(Spinoza, à partir d'Éthique III, prop. 30 et scolie).

 

« Par ce commerce avec l'infini de l'extériorité, la naïveté de l'élan direct, la naïveté de l'être qui s'exerce comme une force qui va, a honte de sa naïveté. Elle se découvre comme une violence. »

(Levinas , Totalité et infini p.186).

 

Deleuze disait que celui qui n'a pas honte d'être un homme n'a rien à dire en tant qu'artiste.

Dans notre vie quotidienne, il y a des événements minuscules qui nous inspirent une petite honte d'être un homme. On assiste à une scène où quelqu'un est un peu trop vulgaire. On est gêné pour lui, on est gêné pour soi aussi parce que, par notre seule présence, on a l'air d'accepter cette situation affligeante.

Mais protester, ce serait faire un drame d'une chose insignifiante. On est piégé dans une sorte de compromis avec le réel.

La honte est donc la traversée de cette vulgarité, celle des autres mais aussi la sienne. Il est nécessaire de la ressentir pour entrer en résistance. Et entrer en résistance passe par la création artistique et conceptuelle. Sans l'art et la philosophie, on n'imagine pas la bêtise, la vulgarité dans laquelle les gens se vautreraient.

 

Thomas Bernhard a dit – Il y a deux âges vraiment essentiels dans la vie. Celui de l'enfant qui s'empare du langage, et pour qui le monde advient à une vitesse qu'il ne peut contrôler et celui de l'adolescent qui prend conscience d'un désir dont jusqu'alors il ne soupçonnait pas la force. 

Ce sont les âges des grandes découvertes, de l'intensité maximale et des plus grands périls où la honte guette à chaque pas. Et l'écrivain autrichien concluait : « Tout le reste de la vie est littérature », c'est-à-dire répétition et affadissement .

 

« Le point où l'on se trouve par rapport au désir fait naître autour de soi les scandales, force à prendre la vie sérieusement, à mettre des émotions dans le plaisir, empêche de s'arrêter, de s'immobiliser dans une vie ironique et extérieure des choses, rouvre sans cesse en soi un courant douloureux. Presque chaque fois que le désir adresse une déclaration, il essuie une avanie, qui pourra bien entraîner jusqu'à la prison. 

Ce n'est pas que l'éducation des enfants, c'est celle des poètes qui se fait aussi à coups de gifles.» 

(Proust, le Temps retrouvé)

 

 

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Quand le temps prend la forme de l'espace

13 Mars 2017 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Considérations spinoziennes, #au regard de l'éternité, #Jo LaScience, #Marcel Proust

Space fading - photo Gérard Dubois

Space fading - photo Gérard Dubois

 

La durée et l'espace sont des dimensions, relatives l'une par rapport à l'autre. Einstein et Proust ne disent pas autre chose. (On le sait, l'écrivain s'est intéressé de près aux théories du physicien.)

En relativité générale le temps n’est pas externe à l'espace puisqu’il dépend de la géométrie, par conséquent du champ gravitationnel dans lequel on se trouve.

Pour Einstein, tout est une affaire de masse. Plus il y a de masse, plus il y a d'espace, plus l'espace se creuse, se dilate, en quelque sorte, moins il y a de durée mesurable par le temps. Aux abords des trous noirs, ce qui est de l'ordre de la temporalité tend à se raréfier.

Idem avec la vitesse, plus il y en a, plus il y a de la masse, plus d'espace et moins de durée mesurable par le temps. On connaît l'exemple d'astronautes voyageant à la vitesse de la lumière pendant un an. À leur retour sur Terre, vingt ans auraient passé sur celle-ci. Et ce qui constituerait pour eux un retour vers le futur, serait pour les Terriens vis à vis de ces astronautes voyageurs, un retour vers le passé.

Inversement, moins il y a de masse, plus il y a de légéreté ; donc, moins d'espace et plus de temps.

Un mouvement qui va de la concentration à la dispersion, de la lourdeur à la légéreté, d'un ordre à un désordre et qui indique une direction non réversible, du chaud vers le froid, du plus de mouvement à moins de mouvement, de l'espace vers de la durée. De la négentropie à l'entropie. À la fin, l'entropie se disperse et se résoud dans l'éternité.

 

Avec Proust, on retrouve une appréhension très proche de la théorie d'Einstein. Espace et temps y sont dans un rapport du même type. Pour la vie humaine, dans la jeunesse, c'est l'espace qui prédomine, un espace à toujours découvrir, avec comme contrepartie, un temps qui ne passe pas ou si peu. Un temps qui semble comme raréfié, non pas simplement parce qu'il est le temps « de l'oisive jeunesse à tout asservi qui par délicatesse a perdu sa vie », mais aussi parce qu'avec la jeunesse, le temps se perd dans un espace trop vaste pour elle. Elle est ce déploiement dans l'espace qui peut s'autoriser à faire peu de cas du temps, à le perdre de vue, pour ainsi dire. On a toujours bien le temps de.. quand on est jeune. Et puisqu'il s'agit d'arpenter l'espace, ainsi va le narrateur proustien, dans ses premières années, entre « du côté de chez Swann » et « le côté des Guermantes ».

Mais avec la maturité et la vieillesse, le temps réclame son dû, reprend ses droits. Au fur et à mesure, l'espace se réduit. Il est moins à parcourir et à découvrir. Il est de moindre importance. Et le temps prend toute sa valeur.

Dans les toutes dernières lignes du Temps Retrouvé, on trouve cette image des vieillards comme de frêles géants : « des êtres monstrueux, occupant une place si considérable (dans la durée) à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace. » Ainsi le temps est retrouvé lorsque l'espace est comme abolie. Et le narrateur conclut, à propos de cette place qu'occupe les vieillards : « une place au contraire prolongée sans mesure puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps. »

 

Paul Maurice.

 

 

 

 

 

 

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Marcel et la singularité

12 Décembre 2015 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Obsessionnels et hystériques, #L'individu et la société, #Marcel Proust

Dans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois LDans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois L

Dans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois L

 

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleur

" Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur. Nous oublions toujours qu'ils sont individuels et, leur substituant dans notre esprit un type de convention que nous formons en faisant une sorte de moyenne entre les différents visages qui nous ont plu, entre les plaisirs que nous avons connus, nous n'avons que des images abstraites qui sont languissantes et fades parce qu'il leur manque précisément ce caractère d'une chose nouvelle, différente de ce que nous avons connu, ce caractère qui est propre à la beauté et au bonheur. Et nous portons sur la vie un jugement pessimiste et que nous supposons juste, car nous avons cru y faire entrer en ligne de compte le bonheur et la beauté quand nous les avons omis et remplacés par des synthèses où d'eux il n'y a pas un seul atome. C'est ainsi que baîlle d'avance un lettré à qui on parle d'un nouveau "beau livre", parce qu'il imagine une sorte de composé de tous les beaux livres qu'il a lus, tandis qu'un beau livre est particulier, imprévisible, et n'est pas fait de la somme de tous les chefs-d'oeuvre précédents, mais de quelque chose que s'être parfaitement assimilé cette somme ne suffit nullement à faire trouver, car c'est justement en dehors d'elle."

 

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C'est Marcel qui comme toujours évoque ce qui est important : à travers un propos sur la singularité à ne pas confondre avec l'originalité.
Nous essayons de retrouver dans celle-ci le caractère unique de l'origine. L'originalité entretient cette illusion d'une création à partir de rien, qui sera objectivé, dès son apparition, du fait même qu'elle procède d'une origine, sans cause, donc. D'emblée, la création original se désigne comme un pur objet.
Mais malgré une recherche répétitive, harassante, cette originalité nous échappe  et, comme "les lettrés" nous bâillons d'ennui, dans l'absence de cet objet introuvable. Alors que la singularité est là devant nous et nous ne la voyons pas.

Tant nous avons besoin de confronter en l'opposant, une supposée originalité à ce que nous avons connu jusque là. C'est le syndrôme moderne, et sa quête d'une rupture par principe. La singularité, elle, surgit sans nécessité de faire, du déjà connu, du déjà vu, les juges de son apparition. Elle les effleure, les survole et se retrouve placée "en dehors" d'eux.

 

La singularité est un risque assumé où l'échec est  toujours possible. L'expérimentation y a une valeur propre. Quant à l'originalité, elle relève de l'exploit. La tentative, si elle échoue signale une outrecuidance. Si elle réussit, elle est l'oeuvre d'un démiurge.

 

La singularité ne serait pas le fruit d'une volonté mais d'une perséverance.

 

C'est la part en nous de l'hystérique qui subit la tentation de l'originalité. Elle lui fournit ce qui le constitue : Une exigence de répétition, la dilatation du moi. Et l'obsessionnel recherche la singularité pour la promesse souvent tenue d'une étape dans sa fuite en avant.

 

 

 

 

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