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éloge de la mollesse

Toute honte bue

7 Mars 2019 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Toute honte bue, #Considérations spinoziennes, #Marcel Proust

Un ciel sans nuage par-dessus les tours - photo Christophe Eloy

Un ciel sans nuage par-dessus les tours - photo Christophe Eloy

 

La honte : ce qu'ils en disent.

 

- Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ?

- Épargnez la honte à quelqu'un.

(Nietzsche - le Gai Savoir, Livre III, para. 274) 

 

Pour Spinoza, la honte est un affect dérivé d'un des trois fondamentaux, à savoir la tristesse, (les deux autres étant le désir et la joie). La honte est une tristesse accompagnée d'une cause intérieure, à savoir soi-même. En ce sens, elle est une sorte de haine inversée, puisque celle-ci est une tristesse accompagnée d'une cause extérieure, et qui en retour se dirige vers cette chose extérieure. 

La honte sera donc une forme de haine de soi. Elle vient de soi et retourne vers soi.

Si on a fait quelque chose qu'on imagine affecter les autres de tristesse et avoir mérité ainsi d'être blâmé par eux, on se considérera soi-même avec tristesse, pour cette tristesse faite à autrui.

La modalité qui détermine la honte est l'imitation. Elle pose un cadre général, c'est-à-dire si un individu que j'imagine semblable à moi est triste, ceci me rendra triste à mon tour, parce que je vais imiter sa tristesse, (même si je n'ai aucune affection particulière pour ce quelqu'un), or avec la honte, comme on vient de le voir, la cause de la tristesse d'autrui n'est pas extérieure puisque j'imagine que c'est moi qui en est la cause. 

La honte me fait imiter la tristesse d'un individu, alors même que je m'imagine être la cause de sa tristesse. Il y a là, avec la honte, un effet-écho amplificateur pour ma propre tristesse

(Spinoza, à partir d'Éthique III, prop. 30 et scolie).

 

« Par ce commerce avec l'infini de l'extériorité, la naïveté de l'élan direct, la naïveté de l'être qui s'exerce comme une force qui va, a honte de sa naïveté. Elle se découvre comme une violence. »

(Levinas , Totalité et infini p.186).

 

Deleuze disait que celui qui n'a pas honte d'être un homme n'a rien à dire en tant qu'artiste.

Dans notre vie quotidienne, il y a des événements minuscules qui nous inspirent une petite honte d'être un homme. On assiste à une scène où quelqu'un est un peu trop vulgaire. On est gêné pour lui, on est gêné pour soi aussi parce que, par notre seule présence, on a l'air d'accepter cette situation affligeante.

Mais protester, ce serait faire un drame d'une chose insignifiante. On est piégé dans une sorte de compromis avec le réel.

La honte est donc la traversée de cette vulgarité, celle des autres mais aussi la sienne. Il est nécessaire de la ressentir pour entrer en résistance. Et entrer en résistance passe par la création artistique et conceptuelle. Sans l'art et la philosophie, on n'imagine pas la bêtise, la vulgarité dans laquelle les gens se vautreraient.

 

Thomas Bernhard a dit – Il y a deux âges vraiment essentiels dans la vie. Celui de l'enfant qui s'empare du langage, et pour qui le monde advient à une vitesse qu'il ne peut contrôler et celui de l'adolescent qui prend conscience d'un désir dont jusqu'alors il ne soupçonnait pas la force. 

Ce sont les âges des grandes découvertes, de l'intensité maximale et des plus grands périls où la honte guette à chaque pas. Et l'écrivain autrichien concluait : « Tout le reste de la vie est littérature », c'est-à-dire répétition et affadissement .

 

« Le point où l'on se trouve par rapport au désir fait naître autour de soi les scandales, force à prendre la vie sérieusement, à mettre des émotions dans le plaisir, empêche de s'arrêter, de s'immobiliser dans une vie ironique et extérieure des choses, rouvre sans cesse en soi un courant douloureux. Presque chaque fois que le désir adresse une déclaration, il essuie une avanie, qui pourra bien entraîner jusqu'à la prison. 

Ce n'est pas que l'éducation des enfants, c'est celle des poètes qui se fait aussi à coups de gifles.» 

(Proust, le Temps retrouvé)

 

 

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