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éloge de la mollesse

Pauvre Mnemo

1 Octobre 2018 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Considérations spinoziennes

Une trace - photo Gérard Dubois

Une trace - photo Gérard Dubois

 

Ma mémoire aurait un fonctionnement séquentiel ! Certainement pas. Tellement de séquences manquent à l'appel. Par indexation alors ? Peut-être mais alors une indexation tout ce qu'il y a de plus aléatoire. Faut voir comment. Au petit bonheur la chance. Non, ce n'est pas un doigt volontaire qui pointe un souvenir pour le ramener à la surface. Comme l'écrit un philosophe : "Il n'est pas au libre pouvoir de l'esprit de se souvenir d'une chose ou de l'oublier."

 

Des souvenirs qui reviennent alors qu'on n'a rien demandé et qui nous encombrent à ne plus savoir qu'en faire. D'autres qui s'effacent à jamais, et qui sont tellement oubliés qu'on en vient même à se demander, en présence d'une telle négation de soi-même, de l'histoire de sa propre vie, comment la mémoire peut nous lâcher si radicalement et si elle a, en fin de compte, une quelconque utilité. Quelle chose pitoyable !

 

Alors si on y réfléchit, cette mémoire, quelle foutaise ! Que me reste-t-il de tout ce que j'ai vécu ? En pourcentage avec l'ensemble des événements, posons un zéro, une virgule, et après beaucoup, beaucoup de zéros et tout à la fin de la série, un tout petit un de rien du tout. Il reste le sentiment d'une durée vague, une durée qui se serait plus ou moins écoulée, qui aurait plus ou moins eu lieu. Et c'est tout. Pourquoi tant de jours écoulés pour si peu en garder en mémoire ? Pour finalement une vie qui pourra se résumer en trois phrases.

 

Est-ce qu'une autre, bien plus ramassée avec des évènements presque toujours décisifs qui laisseraient des traces véritables et précises ne serait pas préférable. Je me le demande. En comparaison avec cette bouillie des jours.

 

Et pour l'heure qui vient de s'écouler, le rapport des pensées que je conserve en mémoire avec l'ensemble de celles qui me sont venues dans ce laps de temps n'est certaiment pas meilleur que précédemment. Une idée formidable qui aurait pu faire de moi un homme heureux m'a traversé, et puis une autre est venue, et puis encore une autre, et j'ai tout oublié. Un outil misérable vraiment...

 

 

En tout cas, pour être au plus près de la vérité, peut-être conviendrait-il de dire que la mémoire fonctionne par association. Une mouche tourne autour de toi et hop te voilà renvoyé à l'enfance où, des heures entières, tu en écrasais entre tes doigts en les attrapant sur les carreaux de la fenêtre qui donnait sur la basse-cour.

 

Et si la mémoire n'était  misérable que si justement on la réduit  à un instrument mécanique, à une fonction ?

Parce qu'elle est aussi, cette mémoire, ce qui m'a permis d'apparaître à moi-même, quand une chose, et puis la même chose, et puis encore cette même chose est venue à ma rencontre, j'ai d'abord commencé à percevoir une trace, je l'ai conservée et dans cette conservation je me suis constitué dans ce qui peut s'appeler, malgré tout, une petite unité d'identité. C'est la mémoire qui fait l'homme, bien plus que la conscience, qui le démarre et qui le persévère. Sans elle, il n'est qu'un tas d'atomes encastrés. Il y a donc la nécessité d'un énorme gaspillage, d'une extraordinaire surabondance de choses extérieures rencontrées qui viennent tambouriner ma mémoire où à partir de rares souvenirs quelque chose d'un peu cohérent finit par émerger.

 

Et un parallèle est possible si on se tourne du côté de la vie organique. On retrouve aussi cette nécessité d'un vie pléthorique, une vie tous azimuts, prête à apparaître, dès que possible, et à s'infiltrer dans le moindre recoin de l'univers. Une vie qui se répète, se copie, se duplique à l'infini et par d'infimes variations fait surgir de rares (par comparaison avec le matériau initial) formes complexes et singulières.

 

Christophe Eloy

 

 

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