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éloge de la mollesse

Dialogues avec l'âne (fantaisie dépressive)

2 Octobre 2018 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Le désir en toutes lettres

À l'ombre de Cervantès (Montévidéo, Bibliothèque Nationale) - photo Gérard Dubois

À l'ombre de Cervantès (Montévidéo, Bibliothèque Nationale) - photo Gérard Dubois

 

 

Un jour à l'aube : une aube vaste aux doigts de rose comme elles le sont souvent, je parlais à mon âne. Je lui disais

– Je suis la faiblesse.

Ou plus encore 

je suis son symptôme.

Je n'ai jamais donné satisfaction.

Pourquoi donner satisfaction ?

Pourtant j'aurais tout essayé...

Non, ce n'est pas vrai, je n'ai rien essayé du tout.

Tu sais, ça me troue le cul tout ça,

ou plutôt, ça me picore la rondelle,

enfin, je veux dire que ça m'interpelle quelque part.

 

Et l'âne se taisait, ne sachant trop que dire.

 

Alors je lui chantais cet air qu'il aimait bien.

L'air du barbu barbier ; celui qui avait

un faux-pli au cerveau

avec une folle envie plus forte que la vie,

qui aurait tellement 

voulu être une belle infidèle

ou un fiasco français

à nul autre pareil

(comme ils le sont souvent)

dans le concert des nations.

Et ce refrain -

Gare au travers de porc

qui s'rait sur mon chemin.

Gare au travers de porc.

Et toujours sur cet air d'opéra :

Tout ce qui me rend plus fort

vient renforcer le groupe,

ou plutôt non,

tout ce qui renforce le groupe me rend plus fort.

Qu'en penses-tu ? Oh mon âne. Réponds.

Il en va quand même de l'organisation de la société.

 

Et l'âne se taisait, ne sachant trop que dire, 

quand je m'opiniâtrais dans mes pauvres pensées.

J'avais aussi mes thèmes récurrents :

– Quand je pense qu'il n'y a que les grands seigneurs 

et les cons qui peuvent tout se permettre.

Et l'âne, invariablement soupirait « hélas »,

montrant par là, que s'il n'était ni l'un ni l'autre,

il était du moins un esprit fin.

D'autres fois, je m'esclaffais :

– Bosser baiser bouffer ...

je sens que je vais finir par craquer

à parcourir en tout sens cette théorie des activités en B.

D'ailleurs Chateaubriand le dit bien dans ses Mémoires :

«  Par quel miracle, l'homme consent-il à faire tout ce qu'il fait sur cette terre ; lui qui est mortel ? »

Le seul véritable héros moderne

est un héros dépressif. Celui qui

combat sans discontinuer ses propres dragons.

Un héros hors du temps – mais comme ils le sont tous

Et l'âne me reprenait :

– Ta femme est délicieuse, ne pourrais-tu pas

plutôt songer à lui faire une vie en mieux.

Aussitôt mes amis m'enjoignaient de le faire taire,

mais moi qui savais le pourquoi

de son propos vu qu'il avait de la tendresse pour ma femme 

et qu'il la guignait avec son œil malade et sa longue queue,

je n'aurais pas aimé agir ainsi.

Sans doute avait-il raison ?

Et puis – allez donc faire taire un âne 

quand l'envie le prend de braire.

Souvent pour le rassurer, je lui disais :

– Vois-tu mon âne, un jour peut-être

mes conflits intérieurs prendront une valeur objective.

Plus uniquement cette ridicule subjectivité 

en butte au monde extérieur.

Ils seront soudain le lot commun d'une humanité toute entière.

Alors tu verras, tout sera bien.

 

Et l'âne, se taisait ne sachant trop que dire.

 

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