L'éternité, toujours

photo - Gérard Dubois

Spinoza, Éthique 5, scolie de la proposition XXIII. 

" Nous sentons et nous expérimentons (faisons l'épreuve) que nous sommes éternels."

Une fois de plus, Spinoza prend le contrepied des opinions communes et des idées reçues. Ce qui est habituellement dit comme un reproche, une moquerie : " Tu te crois éternel, peut-être ! ", ou énoncé d'un point de vue moral et ironique : " les hommes se croient éternels ", et le moraliste daube à l'envie sur cette supposée vanité, devient ici avec Spinoza une vérité.

Il peut bien être question de la mort tous les jours de la vie, peut-être même, nous pensons à notre propre mort, tout aussi fréquemment. Mais il nous est comme impossible, en temps normal, de la sentir et de l'expérimenter, dans notre fors intérieur, parce que, spontanément, en tant que sensation, elle semble ne pas y avoir droit de cité.

Par contre, ce que nous sentons naturellement, en faisons l'expérience, et l'épreuve, concerne l'éternité, et possiblement à partir d'un point de vue très quotidien.

La morale traditionnelle, bien sûr, se moque d'une telle évidence. Elle y voit l'oubli stupide que l'homme est mortel et qu'il se berce d'illusions en prenant une telle sensation pour argent comptant.

Spinoza dit le contraire, cette sensation, cette simple expérience ne doit surtout pas être négligée parce que, tout simplement, elle est vraie.

On peut alors considérer que cette sensation, cette expérience, c'est ce qui nous permet de vivre, d'exister, de persister, de durer, de nous prolonger, et aussi, d'aller au-delà du présent. Avec elle, je me gonfle d'importance, je me dilate d'éternité.

En tout cas, je le sens, cette sensation, cette expérience pourrait libérer en moi, une puissance prodigieuse.

Et soudain, je m'identifie à un soleil. En mon centre, à chaque seconde des noyaux d'atomes écrasés par leur propre masse fusionnent, et libérent une énergie colossale qui explose dans toutes les directions. Cette énergie vient contrebalancer l'effrondrement gravitationnel de la matière. Ainsi va mon coeur vibrant, cette pulsation de chaque seconde.

Christophe Eloy