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éloge de la mollesse

l'individu et la societe

Marcel et la singularité

12 Décembre 2015 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Obsessionnels et hystériques, #L'individu et la société, #Marcel Proust

Dans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois LDans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois L

Dans l'ombrage d'une jeune fille en fleur & Lettré du grand bassin du Luxembourg - photo Gérard Dubois L

 

Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleur

" Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur. Nous oublions toujours qu'ils sont individuels et, leur substituant dans notre esprit un type de convention que nous formons en faisant une sorte de moyenne entre les différents visages qui nous ont plu, entre les plaisirs que nous avons connus, nous n'avons que des images abstraites qui sont languissantes et fades parce qu'il leur manque précisément ce caractère d'une chose nouvelle, différente de ce que nous avons connu, ce caractère qui est propre à la beauté et au bonheur. Et nous portons sur la vie un jugement pessimiste et que nous supposons juste, car nous avons cru y faire entrer en ligne de compte le bonheur et la beauté quand nous les avons omis et remplacés par des synthèses où d'eux il n'y a pas un seul atome. C'est ainsi que baîlle d'avance un lettré à qui on parle d'un nouveau "beau livre", parce qu'il imagine une sorte de composé de tous les beaux livres qu'il a lus, tandis qu'un beau livre est particulier, imprévisible, et n'est pas fait de la somme de tous les chefs-d'oeuvre précédents, mais de quelque chose que s'être parfaitement assimilé cette somme ne suffit nullement à faire trouver, car c'est justement en dehors d'elle."

 

******

 

C'est Marcel qui comme toujours évoque ce qui est important : à travers un propos sur la singularité à ne pas confondre avec l'originalité.
Nous essayons de retrouver dans celle-ci le caractère unique de l'origine. L'originalité entretient cette illusion d'une création à partir de rien, qui sera objectivé, dès son apparition, du fait même qu'elle procède d'une origine, sans cause, donc. D'emblée, la création original se désigne comme un pur objet.
Mais malgré une recherche répétitive, harassante, cette originalité nous échappe  et, comme "les lettrés" nous bâillons d'ennui, dans l'absence de cet objet introuvable. Alors que la singularité est là devant nous et nous ne la voyons pas.

Tant nous avons besoin de confronter en l'opposant, une supposée originalité à ce que nous avons connu jusque là. C'est le syndrôme moderne, et sa quête d'une rupture par principe. La singularité, elle, surgit sans nécessité de faire, du déjà connu, du déjà vu, les juges de son apparition. Elle les effleure, les survole et se retrouve placée "en dehors" d'eux.

 

La singularité est un risque assumé où l'échec est  toujours possible. L'expérimentation y a une valeur propre. Quant à l'originalité, elle relève de l'exploit. La tentative, si elle échoue signale une outrecuidance. Si elle réussit, elle est l'oeuvre d'un démiurge.

 

La singularité ne serait pas le fruit d'une volonté mais d'une perséverance.

 

C'est la part en nous de l'hystérique qui subit la tentation de l'originalité. Elle lui fournit ce qui le constitue : Une exigence de répétition, la dilatation du moi. Et l'obsessionnel recherche la singularité pour la promesse souvent tenue d'une étape dans sa fuite en avant.

 

 

 

 

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Notre folie

30 Juin 2015 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #Witold Gombrowicz, #L'individu et la société

Où finit mon moi, là commence mon dévergondage - photo Gérard Dubois

Où finit mon moi, là commence mon dévergondage - photo Gérard Dubois

par Witold Gombrowicz, Le mariage, 1948 

 

Henri :

 

Peut-être on m’a donné un ordre,

peut-être on m’a envoyé faire

une chose que je n’ai pas souffert.

 

Mais non, il n’est pas une chose

qui ne puisse m’arriver

- tout et même plus que tout

est possible ... A quelles folies

n’ai-je pas déjà pris part ? Oh ...

Même si j’avais été le plus sain...

le plus sage ... le plus équilibré,

les autres m’auraient pourtant

obligé à des actes horribles

meurtriers et aussi

déments, idiots, effrénés...

Une simple question se pose :

quelqu’un qui pendant des années

accomplit la tâche d’un fou

n’est-il pas réellement fou ?

A quoi bon être sain

si mes actes sont malades ?

 

Mais ceux qui m’ont obligé

à ces folies étaient

également sains Et

sages Et équilibrés...

Amis, camarades, frères,

tant De santé Et un

comportement si malade ?

Tant de sagesse Et

tellement de folies ?

Tant d’humanité Et

tellement d’inhumanité ?

 

Et à quoi sert que chacun,

en particulier soit

tout à fait lucide et sage,

équilibré, si tous

ensemble nous ne sommes

qu’un fou gigantesque, qui

avec furie se roule,

se rue, se tord, se précipite

et hurle les yeux bandés.

Notre folie

est en dehors

de nous, à l’extérieur...

Là, là, là, là... à l’extérieur.

Où finit mon moi, là

commence mon dévergondage.

Et même si j’habite en moi

paisiblement,

j’erre cependant au dehors

et dans les espaces obscurs et sauvages,

je me livre à l’infini...

 

Et même si j’habite en moi

paisiblement,

j’erre cependant au dehors

et dans les espaces obscurs et sauvages,

je me livre à l’infini.

 

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Les femmes et les individus

15 Mars 2015 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'individu et la société

L'individu-reine  - photo Gérard Dubois

L'individu-reine - photo Gérard Dubois

 

Eric Zemmour dénonce : « la dictature du bonheur née de la féminisation de la société. Entre l'individu-roi et l'univers, plus rien n'existe désormais », dit-il.
Ce qui pour lui est tout à fait négatif sera pour ceux qui sont du côté de l'« éloge de la mollesse », et, exactement dans les mêmes termes, complètement positif.

 

On pourrait lui rétorquer que la féminisation de la société est déjà à l'oeuvre et depuis longtemps (pour son plus grand bien). Par exemple, en choisissant des exemples littéraires comme la Nouvelle Héloïse (1761), dont on disait à l'époque qu'il est un livre efféminé qui respire l’amour et la mollesse, et même l’amour de la mollesse. D'ailleurs, La Nouvelle Héloïse a sans doute été l’ouvrage qui a réalisé les meilleures ventes au XVIIIème siècle, avec au moins 70 éditions avent 1800. La demande était telle que, ne pouvant imprimer suffisamment d'exemplaires du roman de Jean-Jacques Rousseau, les éditeurs se mirent à le louer à la journée et même à l'heure. C'est dire si l'aspiration à la féminisation de la société, dès le milieu du XVIIIème se met en place. Elle est donc déjà  extraordinairement puissante et va se révéler dans les deux siècles suivants comme une force irrésistible avec laquelle il faudra compter.
Si l'autre moitié de l'humanité n'a pas droit de cité, on comprend facilement à quel point la société y perd en affects, idées, intelligence et puissance. En fait elle perd sur tout les tableaux.
Et l'on voit désormais, les impasses des sociétés qui prétendent résister à cette force, lorsqu'elles retranchent cette part de l'humanité.

 

Dans ces quelques mots de Zemmour, on entend aussi une critique de la notion d'individu. Celle-ci est interrogée, mais au prix d'une confusion. À vrai dire, l'histoire nous en offre d'ores et déjà deux modèles bien différents.
D'abord, l'individu classique, dans la maîtrise et la conscience de lui-même, une sorte de monade fermement adossé à son droit de propriété. C'est en fait l'individu libéral, bourgeois, « l'honnête homme », lui-même héritier d'un modèle aristocratique. C'est à ce modèle de l'individu que la modernité a opposé les masses. L'individu-roi est évidemment celui-ci. Il règne en son domaine comme le roi règne en son royaume. Mais Zemmour déplace cette dénomination vers le second modèle, au prix d'une confusion sémantique. Les réactionnaires agissent souvent ainsi.

 

Depuis au moins Freud, l'individu sait qu'il est plusieurs dans sa tête. Qu'à lui tout seul, il fait un groupe.
La littérature nous donne aussi à voir cet individu. Je pense, par exemple à « l'homme sans qualités » de Musil qu'il oppose à l'homme de qualité classique. Pour ce dernier, la conscience de lui-même passe par la maîtrise de ce qu'il est au détriment de tout ce qu'il n'est pas. Il est un individu exclusif de l'autre.
L'homme sans qualités, parce qu'il n'en a aucune en particulier, il les possède toutes (je cite de mémoire). Il tente la conscience de ses déterminismes, familiaux, sociaux, culturels, civilisationnels, non pas forcément pour s'en libérer, mais au moins pour entretenir un jeu, une distance, un dialogue qu'il pourra poursuivre toute une vie avec eux.

Sous son action, la forme ancienne, unanimiste, des groupes, des masses, se désagrègent à son profit.

Il se sait aussi bien relié à ses pères et ses aïeux, même si c'est pour en reconsidérer l'héritage, qu'à un présent dans lequel il se connaît autant étranger à lui-même que présent aux autres et à un futur dans la mesure où il sait tout autant qu'il lui est imprévisible mais qu'il n'y a que lui pour le façonner.

 

Pour résumer, l'individualisation vise à la production d'un individu autonome, et l'individuation, à celle d'un individu pris dans un milieu associé, un contexte général dans lequel il est inclu. Avec lui, les deux oppositions fondamentales qui structurent à la fois la société et la pensée trouvent un début de résolution, (on dira aussi une possibilité de déplacement), à savoir la frontière entre ipséité et altérité devient plus poreuse et celle entre individu et groupe perd de sa virulence.


En fait, l'individu du je-suis-comme-les autres est sorti de la tête de l'individu-roi. Il en est la contradiction et le prolongement. 
Que Zemmour se le tienne pour dit.

 

Christophe Eloy

 

l'individu je-suis-comme-les autres - photo  Gérard Dubois

l'individu je-suis-comme-les autres - photo Gérard Dubois

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Pour en finir avec le vide spirituel

12 Février 2015 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'individu et la société

Le vide - photo Sylvie Paponnet

Le vide - photo Sylvie Paponnet


Le vide spirituel ! Jusqu'à quand faudra-t-il endurer d'entendre ce lieu commun usé jusqu'à la corde du vide spirituel des sociétés sorties du religieux, qui péchent par leur matérialisme et leur consumérisme.
Cette expression quasi-lexicalisée, infiniment ressassée, est censée s'imposer avec une telle évidence, (c'est la force des lieux communs qu'ils ne doivent plus prêter à discussion), qu'à chaque fois que je l'entends ou la lis, invariablement, mes épaules s'affaissent, un obscur et vague sentiment de culpabilité m'envahit, et un vide qui, l'instant d'avant n'y était pas, inévitablement, s'installe dans ma pensée.

Cette expression mériterait de faire son entrée dans le dictionnaire des idées reçues de Flaubert, (pourquoi pas sous cette forme) : 
"Vide – Il est avant tout autre considération, spirituel. Le déplorer fortement."
Pourtant, si je me tourne vers mon esprit, et que j'en prenne une photographie à un instant T, et même aussi loin que je remonte dans le temps, j'y trouve saisi une pleine effervescence (qui l'occupe en totalité). Parfois, je le confesse, quelque chose d'un peu chaotique se dessine, mais alors c'est toujours avec un grand plaisir que je tente de redonner une forme plus organisée à mon esprit.
Si bien que j'en arrive à subodorer que le vide spirituel que beaucoup dénoncent est d'abord et avant tout le reflet de leur propre vie intérieure.

Par contre, je suppute, par un raisonnement qui va du particulier au général, qu'il en va de moi, comme de mes contemporains, et que c'est en premier lieu, l'effervescence de leurs pensées qui est la règle.
Et même, sans m'autoriser à pénétrer dans le cerveau de ces mêmes contemporains, j'observe, de l'extérieur donc, qu'il y a, chez un grand nombre, un immense plaisir à vivre, presque intarissable, et qui est la réfutation la plus élémentaire à ce trop-souvent-invoqué vide spirituel.


Christophe Eloy.

 

Dilthey, dans son Introduction à l'étude des sciences humaines (1883) est sur la même longueur d'onde, ça fait plaisir. L'intra-humain est connaissable par moi du seul fait que je sois moi.

Les difficultés que pose la connaissance d'une simple entité psychique se trouvent multipliées par la variété infinie, les caractères singuliers de ces entités, telles qu'elles agissent en commun dans la société, de même que par la complexité des conditions naturelles auxquelles leur action est liée, par l'addition des réactions qui s'amassent au cours de nombreuses générations (...)

Pourtant ces difficultés se trouvent plus que compensées par une constatation de fait : moi qui, pour ainsi dire, vis du dedans ma propre vie, moi qui me connais, moi qui suis un élément de l'organisme social, je sais que les autres éléments de cet organisme sont du même type que moi et que, par conséquent, je puis me représenter leur vie interne. Je suis à même de comprendre la vie de la société.

Le plein - photo Sylvie Paponnet

Le plein - photo Sylvie Paponnet

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Le dieu Chance

1 Décembre 2014 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'individu et la société, #Laïcité religion, #L'instant qui vient

Photo - Gérard Dubois - le bar-tabac d'en bas de chez moi.

Photo - Gérard Dubois - le bar-tabac d'en bas de chez moi.

 

 

Il y a des fanatiques de la chance pour qui le nombre, c’est le destin. Pour eux, la seule, la vraie religion universelle, c’est la religion du Nombre.

Son lieu de culte : le bar-tabac. Là, qu’ils soient noirs, jaunes ou blancs, les pratiquants de cette religion du Nombre font en sorte d’être l’objet de la seule métamorphose qui vaille ; celle qui fera d’eux des êtres riches, oisifs et heureux. Bref des dieux.

Dans cette religion, il n’y a pas d’intériorité, pas d’introspection, pas de péchés.

Le sujet qui remplit sa grille de nombres croit agir pour son propre compte alors qu’il s’est déjà fondu dans le grand tout du nombre et de la statistique.

 

S’il gagne, sa valeur, son mérite ne sont, bien sûr, pas en jeu. Il prend juste valeur d’exemplum. Un exemple qui peut être imité. Son apothéose est signalé par un écriteau dans le bar qui l’aura vu gagné : « ICI, le 21 décembre XXXX, on a gagné TANT ».

 

ICI, c’est un index pointé vers un autre qui révasse, accoudé au bar, en se demandant comment il va occuper cette journée où il n’a rien à faire, et qui lui enjoint de tenter sa chance.

ICI, c’est aussi un encouragement pour celui qui déjà converti, remplit sa grille, et qui lui signifie que ce bar n’est pas un lieu profane, vide de sens, mais qu’il a déjà été touché par la grâce du dieu Chance, et que cela pourrait bien se reproduire, pour lui, expressement.

Ainsi, le lieu est  signifiant. Le bar-tabac est un templum, une enceinte où le fidèle choisit le nombre et où le nombre viendra le choisir.

 

Le 21 décembre XXXX a valeur de preuve ; il inscrit le fait dans le réel, le gain est avéré. La date précise éloigne la rumeur, le conte : Ici, un jour, une fois, on aurait gagné tant d’argent. Mais quand exactement ? Le souvenir se serait perdu !

D’ailleurs, la date du gain ne doit jamais être trop éloignée de la date du jour, six mois, un an, au plus. Sinon, comment se représenter un bar qui signalerait un gain vieux de dix ans. Pour le fidèle, il s’agirait d’un lieu déserté du dieu, voire même oublié et donc sans espoir de retour. Et à tout prendre, le fidèle du Nombre aurait tout intérêt à changer de trottoir, pour un bar qui pourrait même ne jamais avoir été visité, mais de ce fait, garderait encore intact toute possibilité.

Un lieu de culte en devenir.

 

Je me souviens, il y a très longtemps, dans une autre vie. C’était à Macao, dans l’Enfer du Jeu, la Chance me visita.

Cela se manifesta par une dégringolade de piécettes, pendant des secondes infinies où l‘argent semblait bouillonner à mes pieds.

Presqu’aussitôt, un groupe de jeunes Chinoises aux sourires ravis et figés nous entoura, moi et ma machine à sous, et après mon départ, elles prirent possession de la machine.

En fait, ce n’était pas moi, l’individu Moi, encore jeune et donc charmant, qu’elles convoitaient. Plutôt, elles espéraient être traversées par les ondes gagnantes que je venais de produire. Ainsi mon ici et maintenant gagnant était devenu adorable, un court instant, comme l’est, au fond, toute apparition dans l’espace et dans le temps, du divin.

 

 

 

 

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La pédagogie californienne

30 Décembre 2013 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'individu et la société

Paroles d'enfant : "Non, je ne retournerai pas à l'école, parce qu'à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas !"

Paroles d'enfant : "Non, je ne retournerai pas à l'école, parce qu'à l'école, on m'apprend des choses que je ne sais pas !"

 

La pédagogie californienne par Laurence A. Rickels.

L'auteur en donne un court résumé : "Donnez-leur ce qu'ils savent déjà et laissez-les tranquilles, satisfaits d'eux-mêmes."

 L'important me semble être sur le dernier point. Surtout qu'ils soient satisfaits d'eux-mêmes. Il faudra y revenir. Pour la pédagogie californienne, il y a l’acceptation que les savoirs non-sus de l’élève sont illégitimes. C’est bien parce qu’il ne peut pas apprendre ce qu’il ne sait pas qu’il faut lui apprendre ce qu’il sait déjà. De tout temps, cela a toujours été une évidence pour celui-ci. C’est un combat qu’il a dû mener sur des générations et des générations. Seulement voilà, maintenant, c’est acté, entériné par la pédagogie californienne.

 Ainsi, il y a une théorie assez répandue chez les élèves qui fait d”Emile Zola, le chef de file de l’école naturiste. Voilà une excellent champ où la pédagogie californienne peut s’appliquer parce qu’on voit bien que les éléves savent tout sans qu’il soit nécessaire de leur en apprendre davantage. Pourquoi remettre en cause leur savoir pour une seule et malheureuse petite syllable ?

Ne sommes-nous pas en présence d’une connaissance de nature analogique qui se suffit à elle-même et qui apporte à l’élève ce contentement de ne jamais être dans l’ignorance, quelles que soient les circonstances. Et c’est là, il faut le répéter, l’essentiel.

 

Désormais, les professeurs se plaignent des copier/coller qu’ils trouvent en grand nombre dans les devoirs de leurs élèves ou de leurs étudiants. Mais celui-ci n’est-il pas un autre champ d’application de la pédagogie californienne puisqu’il permet d’intégrer en douceur, dans l’univers de l’élève, les connaissances externes, non-sues, (car malgré tout, il en reste quelques unes). De ce point de vue, le copier/coller est tout à fait légitime, et surtout, un rouage déterminant de cette pédagogie du Nouveau Monde.

Quoiqu’il en soit, et d’une façon plus générale, dans le copier/coller des travaux estudiantins, c’est le bachotage éternel qu’on retrouve, et qui a toujours été la réponse adéquate à ce besoin universel (bien au-delà de la simple Californie, donc) d’avoir à éviter de réfléchir. Cet “avoir à éviter de réfléchir” est d’ailleurs un phénomène tellement massif qu’il faut bien le considérer comme une composante essentielle de l’intelligence. Lacan parlait de ce désir d'ignorance comme d'une véritable passion de l'être, qu'on pourrait même considérer, pourquoi pas, comme un marqueur spécifique du genre humain.

 

Finalement, toutes ces interrogations ne se résument-elles pas en une seule question ? Est-ce que d’une génération à l’autre, il y a toujours de l’intelligence, de l’humaine intelligence qui se transmet, ou bien un fossé, un “gap” irréversible ne serait-il pas en train de se former ?

Et alors surgi cette hypothèse fantasmatique, propre à une certaine modernité, qui crée du nouveau à chaque instant; nous autres, génération engendrante, ne serions-nous pas coupables d’être celle  en train d’engendrer sa propre fin ?

 

il y a, me semble-t-il, un certain rapport entre ce texte publié dans Rue89 et la pédagogie californienne : 

Chers parents d’élèves, vous nous emmerdez

 

Et aussi cette contribution d'Australie :

Beatrice Stotzer Dreyssé Comment enseigner quoi que ce soit s'il n'y pas de soif de savoir, si les élèves sont déjà abreuvés? -->par facebook   . En fait , et si cela peut ajouter une pierre à ton édifice, en ce qui concerne les élèves du lycée où Peter travaille, c'est la même chose: il vaut mieux leur répéter ce qu'ils savent déjà ou bien...à la limite, leur raconter des anecdotes sur ta vie sentimentale. En plus, ici, en Australie, les cours de grammaire ont été bannis depuis presque 3 décades, donc il ne faut pas s'attendre à des miracles à l'écrit. Et les bureaucrates de l'éducation, qui ne mettent jamais les pieds en classe, inventent (ou plutôt recyclent) constamment des règles débiles pour rendre la vie des profs encore plus difficile- comme si ce n'était pas suffisant de servir de pion, de policier, de conseiller, d'accompagnateur et j'en passe. Résultat: plus personne ne veut devenir prof, et le niveau d'entrée (notes au TEE) pour faire de études dans l'enseignement a dégringolé à moins que rien...Comme les universités, les lycées sont devenues des usines où le principal règne en maître suprême, où les anciens (qui coutent chers) sont souvent méprisés, et où diverses humiliations quotidiennes leur ont fait ravaler toute tendance vocationnelle...Sadly enough....C'est la survie.

La pédagogie australienne...mmm. Les profs, ici, sont traités comme des larbins. Les profs de langues, en plus, sont censés avoir des manifestations "multiculturelles" genre faire la cuisine, aller au cinoche sous-titré, au resto folklo, et emmener les minots à l'étranger pendant LEURS vacances scolaires. Ca en plus des "swimming Carnevale" à la piscine, faire la surveillance pendant le lunch time, prendre soin des élèves, de leur special form class, coacher des étudiants de l'université..etc. Peter, cette année a de nouveau une élève qui est aveugle, et en plus assez sourde et muette...il doit courir pour faire brailler ses cours d'indonésien. Là, on est vraiment entré dans  l'âge de Kali, l'ère de l'apocalyspe !!!! 

 

     

     Ou encore cet extrait de la condition historique de Marcel Gauchet :

Sommes-nous entrés, depuis déjà un certain temps et à l'insu de notre plein gré, dans une période d'hyper-indivualisation et l'éducation en serait un signe manifeste ?

L'élargissement de la dimension d'indépendance individuelle aux dépens de la dimension du gouvernement en commun ébranle les équilibres que les institutions étaient parvenues tant bien que mal à trouver. L'éducation en offre un exemple frappant. La démocratie libérale « classique » , si j'ose dire, avait connu une de ses plus belles réussites sur ce terrain grâce au compromis (..) entre l'autorité de l'institution, la confiance dans les savoirs et l'ouverture pédagogique. Ce compromis s'est défait.
Les moyens d'hier apparaissent comme irrémédiablement archaïques, oppressifs et inadéquats au regard des impératifs de l'individu nouveau, pour lequel la liberté doit être autant au départ qu'à l'arrivée. Cet individu nouveau pose à cet égard un énorme problème. Ce n'est pas qu'il refuse l'éducation. Il aspire au contraire à être formé, afin d'être en mesure de s'orienter lui-même dans le monde qui lui est assigné. Il n'en est pas moins tendanciellement inéducable. Une chose est de demander de l'éducation, autre chose est d'être capable de la recevoir. A toute entrée dans un savoir transmissible, donc formalisé, anonyme, collectif, l'individu contemporain oppose les réquisitoires de sa singularité. « Et moi là-dedans ? » demande-t-il. Quel sens peut-il y avoir à apprendre cela ? Et pas quel sens en général, quel sens pour moi. Ceux qui croient qu'il est possible de répondre à une telle demande se promettent à d'intéressantes aventures ! (Cf. nos ministres successifs de l'Éducnat. Et leurs toujours si intéressantes réformes pour toujours plus de savoirs individualisés) . Comme si d'avance l'individu pouvait savoir ce qu'il veut apprendre. (Ah mais là, c'est une allusion directe à ma toujours très chère pédagogie californienne). Apprendre, c'est précisément se soumettre au décentrement, entrer dans quelque chose qui n'est pour vous que pour autant qu'elle vaut pour n'importe qui d'autre. C'est cette extériorité impersonnelle de la méthode qui tend à être refusée. Il ne faut pas se cacher l'affrontement avec l'impossible qui est en jeu sur le front éducatif. (« Allez, on remonte au front », comme on entend dire souvent dans les salles de professeurs, à la fin de la récré lorsque la sonnerie retentit).

Marcel Gauchet, la condition historique, 2003, folio essais, (p.424-425)


 

 

 

 

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Le mariage homosexuel

20 Décembre 2013 , Rédigé par éloge de la mollesse Publié dans #L'individu et la société

De quoi ? - Photo Gérard Dubois

 

Novembre 1998

 

   Le train est maintenant dans le long tunnel qui mène à la gare de Nord. Il ralentit, s'arrête. Mon voisin de banquette tient un journal – 15.000 personnes dans la rue contre le "mariage homosexuel" - Vraiment, Hian-Yun-Tseng (une collègue coréenne dont j’ai parlé ailleurs) a raison sur toute la ligne, les transcendantalistes sont partout dans nos régions.

  Et pourtant à écouter certains homosexuels, j'ai le sentiment qu'il ne reste vraiment plus qu'eux à croire encore réellement aux vertus du mariage. Quelle injustice on leur fait ! Personnellement, je suis tout prêt à leur laisser le gâteau matrimonial dans son entier. Mais le problème n'est pas là.

  L'autre jour, une amie enrageait : " Et cette façon qu'ils ont de croire qu'ils détiennent la vérité, la Bible en bandoulière, c'est insupportable." Et une autre lui répondait : "On a toujours vu ça, c'est tripal, tripes contre tripes, et chacun affronte l'autre au nom de sa vérité. "

  Mais si l'on considère d'abord d'où nous vient cette vérité, ce qui la légitime, on pourra peut-être un jour laisser nos tripes aux vestiaires.

 

  « Puisqu'ils se sont placés dans le contre-nature, la marginalité, qu'ils y restent ! »  s'écriait un député à la tribune de l'Assemblée : « Pourquoi ont-ils besoin de revendiquer une place dans la normalité, et risquer de mettre le modèle du mariage, nos valeurs, la famille, en danger. »

  C'est bien la référence au modèle qui les tient. Il y a eu un modèle breveté, déposé très haut là-haut. Une forme qui en se matérialisant ne sait que se dégrader. A leurs yeux, l'histoire exagère, comme un enfant pas sage, elle va toujours trop loin, elle met en péril. Elle est forcément décadente.

 

  Chez eux, il y a l'oubli que les valeurs en perpétuelle discussion ne s'élaborent qu'historiquement, et la terreur dans laquelle ils sont, de se retrouver seul, face à cette histoire qui, comme une vague, pourrait les submerger sans rémission.

  C'est ce fantasme qui les occupe, et dont le revers n'est rien d'autre que l'acceptation du politique. Parce qu'en fait pourquoi s'encombrer de démocratie si seul compte de dire et redire le modèle ? Que reste-t-il à discuter dans la cité ? Quelques théocrates bien inspirés, assistés d'un dictateur bienveillant, peuvent suffire à la tâche.

  C'est la référence au modèle transcendant, sa répétition inlassable,  qui crée le dedans et le dehors, et partant la figure du marginal, celui qui tient l'extérieur Et pourtant contre Locke et Rousseau, l'homme n'est pas un loup pour l'homme; ce n'est pas qu'il soit bon à l'origine et que ce soit la société qui le rende mauvais, parce que tout simplement on ne peut penser l'homme en dehors de la société. Il est radicalement social.

  C'est un a priori anthropologique, dirait Hian-Yun-Tseng avec le sérieux qui la caractérise.

  La société ne se laisse pas réduire à la somme des individus qui serait censée la composer. Pas d'addition possible, pas de soustraction, sans parler de division - chassez l'homme par la porte, il reviendra par la fenêtre - c'est inévitable - pour faire et refaire encore et toujours société.

                                                                                      

                                                                                          

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Un modèle familial

19 Décembre 2013 , Rédigé par elogedelamollesse Publié dans #L'individu et la société

Les Kennedy -1ère et 2ème génération.

Les Kennedy -1ère et 2ème génération.

 

  Depuis cet été, je vois les Kennedy comme le modèle-type de la famille bourgeoise occidentale du XXème siècle. Pourquoi donc ?

  Bien sûr aucune autre famille de ce côté-ci du monde n'a été, pour ces fils, une telle pépinière de candidats à la présidence des Etats-Unis. Mais en terme de réussites, d'échecs et de drames, ils ont porté ce modèle à son point d'incandescence. Ce modèle couvre trois générations, du début du siècle jusqu'à la fin des années 70, début des années 80.

  D'abord la génération fondatrice, dont les deux membres, comme beaucoup de leurs contemporains, sont élevés dans de larges fratries et ils engendreront à leur tour une nombreuse progéniture.

  Mais ils introduiront une variante en donnant à leurs enfants une éducation mixte. Une éducation mixte, cela veut dire un idéal aristocratique qui doit s'immiscer dans un monde devenu démocratique. Une harmonie réussie entre la certitude d'être bien né, la force de caractère, et l'adaptation à la modernité. Ce qu'un membre de la famille résumera plus tard par cette formule : "Nous les Kennedy, nous étions comme tout le monde, mais en mieux."

   La seconde génération poursuit le modèle précédent, mais arrivée à maturité, en sortant de la guerre, elle doit créer un monde nouveau en adhérant pleinement à cette démocratie victorieuse à laquelle beaucoup de leurs aînés  ne se ralliaient, avant le conflit,  que très formellement.

   En terme de progéniture, cette seconde génération sera moins prolixe que la précédente. Là où l'on assurait sa descendance en procréant de cinq à dix unités, on tombera le plus souvent au dessous de cinq.

  Du coup le cousinage prendra le pas sur la fratrie. Un membre de la troisième génération aura moins de frères et soeurs, mais des cousins à foison. Il les retrouvera périodiquement et rituellement dans différentes fêtes de fin d'année ou d'anniversaires. Les cousins-cousines seront en fait mis en compétition réglée les uns avec les autres.

  Il y a un coût humain non négligeable dans ce modèle familial qui confronte pendant toute la durée de l'éducation, les tempéraments et les caractères.

  Par exemple chez les Kennedy, dès la seconde génération, il y a ce fils ainé, dont l'histoire ne retiendra pas le visage, trop parfait, promis à un bel avenir, trop exalté, pilote pendant la deuxième guerre mondiale, et qui sera  tué en vol, en partie parce qu'il voulait supplanter les exploits supposés de son frère cadet. Ou encore cette soeur lobotomisée pour éviter que ses frasques ne viennent nuire à la carrière débutante de ce même frère.

  Toujours chez les Kennedy, pour la troisième génération, celle des cousins, on dit que ceux qui ne portaient pas ce nom de Kennedy s'en sont mieux sortis. Pour ceux qui "ne s'en sont pas mieux sortis", cela voudra dire suicide, toxicomanie ou dépression. Nous sommes dans les années 60 et 70.

  Plus généralement, dans le monde occidental, la famille bourgeoise desserre ses filets. Les cousins-cousines s'échappent du modèle. A partir des années 80, chacun va vivre sa vie, s'éloigne des autres, pour ne plus être sous leurs regards. C'est qu'il s'agit pour chacun d'entre eux de laisser tomber l'idéal aristocratique, qui ne leur est plus d'aucun secours dans une société où surgissent de partout des individus, qui sans être "bien nés" réussissent aussi bien sinon mieux.

  On pourra toujours être bien né pour quelque chose; recevoir une certaine forme d'éducation par exemple, mais être bien né en soi ne représentera plus une quelconque valeur. Les cousins et cousines des familles iront se perdre, chacun à leur façon, dans la masse homogénéisée des sociétés démocratiques.

   Alors si on porte un regard rétrospectif sur ces décennies du siècle dernier, on peut dire : "Oui effectivement, les Kennedy étaient des gens comme tout le monde... mais en pire". Ils auront porté à son paroxysme, cette contradiction entre l'idéal aristocratique et les aspirations démocratiques, créant presque une noblesse dans le pays où depuis toujours le peuple est roi.

   Plus tard, les cousins-cousines du monde occidental, à l'aube de la vieillesse,  débarrassés de leurs oripeaux aristocratiques, bien à l'aise dans leur costume démocratique, pourront recommencer à se regarder en face.

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