La loi de 1905
On tombe assez régulièrement, ces temps-ci, sur cette idée qui voudrait que la loi de séparation de l'Église et de l'État soit une émanation d'une laïcité inclusive et compréhensive, mais que par la suite, l'histoire de ce pays n'ait été qu'une longue trahison, avec à la manœuvre, une laïcité exclusive, stigmatisante et pour tout dire, dévoyée.
Mais si on regarde d'un peu plus près cette loi et ce qui s'est passé autour, on peut s'apercevoir assez facilement qu'il s'agit d'une légende, et d'une contre-vérité.
Comme exemple de cette libéralité positive, on trouverait la 2ème partie de l'article 2 (voir ci-dessus) qui permet d'inscrire les services d’aumôneries des établissements publics dans le budget public. Mais ce n'était rien de plus, qu'une exception, une concession au principe que la République ne reconnaissait, ne salariait, ne subventionnait plus aucun culte. Et là, l'Église y perdait beaucoup. Bien qu'elle ait négocié cette loi, elle l'a, en même temps, combattue jusqu'à la rupture des liens diplomatiques entre le Vatican et la France.
On a peu d'idées, aujourd'hui, de la violence des débats entre les anti-cléricaux de la IIIème République (les Jaurès, Briand, Gambetta, Clémenceau, Combes, et beaucoup d'autres, sans doute, rien que de petits laïcards franchouillards) et l'Église.
En 1925, elle ne l'avait toujours pas acceptée. Dans une déclaration des évêques, on trouve : « Les lois de la laïcité sont injustes d'abord parce qu'elles sont contraires aux droits formels de Dieu », ou encore « il n'est pas permis aux catholiques de prêter leurs concours aux mesures injustes et impies que prennent les gouvernants. Ils sont obligés de se rappeler que la politique, étant une partie de la morale est soumise, comme la morale, à la raison, à la religion, à Dieu » ! (au passage, quand on lit cette assez précise définition d'une théocratie, il ne semble pas que E. Badinter profère une monstruosité en disant que la foi doive rester une affaire intime).
Ce n'est qu'en 1945 que l'Église reconnaîtra la laïcité issue de la loi de 1905 (40 ans après) comme conforme à la sienne propre. Comme quoi, le caractère inclusif et compréhensif de cette loi n'a pas été perçu immédiatement (c'est le moins qu'on puisse dire) par les principaux intéressés. Si l'esprit de cette loi était bien cette laïcité-là, le moins que l'on puisse dire, encore, c'est que le résultat, en ce qui concerne son acceptation, n'a pas été probant, et que la laïcité exclusive qui imposerait son idéologie d'État pouvait faire aussi bien (ou aussi mal). De toutes les façons, s'il s'était vraiment agi de cette laïcité idéale qui n'impose pas, elle n'aurait pas imposé à l'Église cette séparation dont celle-ci ne voulait pas.
À la vérité, elle n'était ni inclusive, ni exclusive, elle était juste ferme dans ses principes et tolérante à la fois. C'est vrai aussi que la fermeté peut prendre du temps à être acceptée et comprise. Parfois au-delà même d'une vie humaine. Un siècle après, en 2005, les évêques écrivaient : « Il nous semble sage de ne pas toucher à cette équilibre (de la loi) par lequel a été rendu possible en notre pays l'apaisement d'aujourd'hui. » Dont acte, avec cette laïcité, telle que l'histoire l'a construite, l'apaisement est possible. Même si ça prend du temps.
Elisabeth Badinter et la laïcité lepénisée
Le Monde.fr a publié, jeudi 29 septembre 2011, de larges extraits d'une interview d'Elisabeth Badinter au Monde des religions. J'ai dû les relire deux fois pour être sûr qu'il n'y avait pas ...
https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/300911/elisabeth-badinter-et-la-laicite-lepenisee
30 SEPT. 2011 PAR JEAN BAUBÉROT BLOG : LAÏCITÉ ET REGARD CRITIQUE SUR LA SOCIÉTÉ
Le raciste de la race humaine.
- Je préfère te le dire sans détour, je suis raciste. Oui, parfaitement, moi, je suis raciste.
- Comment ça ?
- Je suis raciste de la race humaine. Je ne peux plus me l'encadrer, celle-là. Et vlan, qu'on en finisse, d'un revers de main, qu'elle disparaisse.
- Ahaha, c'est pas drôle, tu ne devrais pas rigoler avec ça.
- Mais toi, ce que tu peux être sérieux. Toujours à cran. Toujours à guetter le faux pas. Détends-toi, c'est bon, JE plaisante.
- On plaisante pas avec ça. C'est pas drôle, je te dis.
- (Soupir). C'est de la misanthropie. Rien de plus.
De quoi ?
Comme un objet volant
très mal identifié,
on n’sait pas d’où ça vient,
on n’sait pas où ça va,
ni même à quoi ça sert.
Aucune catégorie
ne semble l’accepter
et pourtant ça existe.
Ça n’demande jamais rien,
ni pourquoi, ni comment.
Ça devrait s’arrêter,
pourtant ça continue.
Mais enfin qu’est-ce que c’est ?
On n’en sait vraiment rien.
Ça pourrait s’avancer,
se mettre en évidence,
mais ça reste en retrait
et très dissimulé.
Rien que de très banal,
ça n’en vaut pas la peine
et pourtant on aimerait
en savoir un peu plus
si bien qu’il ne nous reste
qu’une interrogation
pour sentir qu’il existe.
Une seule question subsiste.
Est-il envisageable
de vivre dans ses parages ?
S’il nous contaminait
et s’il nous transformait,
s’il prenait possession
de notre identité ?
Si c’est le mouvement
qui le caractérise,
ça pourrait bien filer,
mais ça reste immobile,
peut-être paralysé
dans le cri des enfants
le soir le long des plages,
dans cette fin d’été
– sa chaleur étouffante
qu’il rêverait infinie
mais qui le stupéfie.
Si depuis quelque temps
on a perdu sa trace,
pourtant permettez-moi
de me faire l’écho
d’une rumeur persistante.
Ça bouge encore, ça bouge
encore, ça bouge encore,
ça bouge encore, ça bouge
encore, ça bouge encore,
" De quoi ? " est extrait du "Le désir en toutes lettres", Christophe Eloy, 2013
Les conseils de lecture
Depuis quelques temps déjà, je reçois de nombreux conseils de lecture. C'est très aimable à vous, mais je préfère le dire dès maintenant, je ne parviendrais pas à tout lire.
D'autant qu'avec tous ces conseils, une légère paranoïa m'est venue, comme si on me disait à chaque fois : « Pauvre gars, avec les idées que tu as, c'est sûr, ce livre-là, tu ne l'as pas lu ». Alors que, quand même, c'est depuis tout petit que j'aime lire, et des livres, j'en ai lu pas mal, et dans tous les genres. Du coup, je trouve injuste d'essayer de me reprocher un quelconque déficit de lecture.
Ensuite une deuxième paranoïa me vient aussi. Avec son conseil, le conseilleur interrompt la discussion qui ne pourra être reprise que dans deux semaines ou même dans six mois, le temps que l'interlocuteur, en l'occurence moi, se soit mis au niveau. Mais alors qui décidera de la reprise ? Me surveillera-t-il par dessus l'épaule pour vérifier ma bonne lecture ?
Je trouve cette façon de faire préjudiciable. Ne serait-il pas plus judicieux de la part du conseilleur s'il fait allusion à un livre qu'il juge éclairant pour telle discussion, de le résumer en deux, trois phrases. Parfois une seule suffit. C'est un effort à faire mais un effort qui vaut la peine. Et ce résumé viendrait en quelque sorte alimenter et argumenter la discussion. Alors que le conseil de lecture tel qu'il est souvent pratiqué n'est jamais qu'une stratégie du dernier mot. Un conseil-couperet : « Machin, il faut lire ce livre, (si tu veux pouvoir dire la moindre chose sur telle question). Un point, c'est tout. »
L'homme au miroir
Oh ! Toi, mon doux reflet,
tu te rêves sans cause,
c'est-à-dire sans moi.
Mais sache-le une bonne fois pour toutes.
Je disparais, tu disparais aussi.
Tu le sais comme moi,
même en me multipliant dans l'infini,
tu n'as pas acquis plus de réalité
qu'une illusion.
Car une chose qui procède d'une cause
ne s'appartient pas. Elle est si peu.
Car une chose qui n'est pas à elle-même
sa propre cause est sans substance.
Tu as vécu longtemps,
et encore aujourd'hui,
à cet âge avancé,
en te dotant de bien plus d'être
que ce dont tu pouvais disposer.
Et ce fut comme une faute, une souffrance.
Au-delà même, sans doute,
du raisonnable.
Et tu ne sais toujours pas qui tu es.
Apparemment, c'est un problème pour toi.
Ça se voit dans ton regard
Oh ! Toi, mon triste reflet.
Mais aussi, cette facilité que tu as d'oublier :
Tu es en autre chose,
c'est-à-dire en moi.
Alors regarde-moi bien. Tu peux le faire.
Tu en as la puissance.
Car malgré tout ce que l'on entend ;
il n'est pas illusoire de penser
que l'homme puisse vivre
sans illusion.
Apprends à me connaître.
Plutôt queue de cheval ou bien chignon ?
Il y a très longtemps, un bon ami à moi m'avait avoué son émoi devant les queues de cheval des filles. Ces cheveux rassemblés, comme suspendus, qui battent la mesure à chaque mouvement du corps ou de la tête. La nuque ainsi dégagée, et laissant apparaître sa fragilité. Rien de plus n'était nécessaire pour lui retourner les sangs. Le meilleur moyen d'apprécier une fille à queue de cheval, ajouta-t-il, les yeux brillants, c'est de la contempler de dos, mais de trois-quarts. De biais, si tu préfères. Là, je suis tout pantois. Plus rien n'existe. À cet instant, j'avais compris que son penchant le taraudait déjà depuis des années, alors même que nous n'étions pas bien vieux. Il lui était tout à fait central, et sans doute qu'il le constituait. Ses considérations, je m'en souviens, m'avaient surpris. À l'époque, j'étais donc très jeune, et je n'imaginais pas que cette coiffure, à mes yeux, on ne peut plus triviale, entre d'une quelconque façon dans l'économie générale du désir.
Par la suite, j'ai dû pas mal réfléchir à cette confidence de mon ami. Et même après l'avoir perdu de vue (malheureusement), lorsque je croisais une fille à queue de cheval je me demandais dans quelle émotion se trouverait présentement Jean-Philippe s'il examinait cette personne. Je cherchais à me glisser dans sa peau, dans son esprit, pour ressentir, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, une parcelle de ce désir qu'il avait exprimé si justement, avec une telle vérité, bien des années auparavant.
Et puis, il n'y a pas très longtemps, à vrai dire, l'autre jour, en repensant à tout ça, je me suis dit qu'il était désormais temps de trancher. Les grandes questions peuvent bien rester en suspens des décennies mais vient toujours le moment de la décision. Et ce jour-là, en marchant dans la rue, à la question : La queue de cheval est-elle oui ou non un objet fétiche de ma libido ? Je dus enfin reconnaître que malgré mes tentatives tant et tant de fois répétées de me mettre à la place d'un de ses plus fervents admirateurs, celle-ci n'avait jamais joué qu'un rôle très secondaire dans ma propre économie libidinale. J'en fus désolé pour mon ami. C'était comme un abandon, une presque-trahison à son encontre.
Mais à cet instant, dans un éclair, je reconnus que pour moi, le fin du fin, la solution, le rien-au-delà, avait toujours été le chignon, oui parfaitement le chignon. Ah ! le chignon.
La panenka est-elle un objet mou ?
Quand Hollande faisait l'éloge de la mollesse et de la lenteur
" Parfois, les mous peuvent atteindre la perfection. " Sortant de la bouche d'un président normal, à qui l'on reproche si souvent sa mollesse, cette petite phrase ne pouvait que faire le buzz ...
Le 28 avril 2016, à l'Élysée, lors de la cérémonie d'ouverture de l'Euro 2016, et devant un parterre d'écrivains, François Hollande déclarait à propos de la panenka du joueur éponyme et tchécoslovaque, Antonin Panenka qui avait offert la victoire à son équipe face à l'Allemagne dans l'ultime séance de tirs au but en finale du Championnat d'Europe 1976 .
"Ça, c'était un ballon tout mou. Parfois les mous peuvent atteindre la perfection, la subtilité, l'élégance, la surprise. Et donc une feuille morte, (un tir flottant sans aucune puissance) est restée dans toutes les mémoires. La panenka, c'était le talent pur."
Bernard Pivot, qui assistait à cette cérémonie, se lance une semaine plus tard, sur le plateau de LCI, et en se mettant dans le rôle du stoïcien de service, dans une contre-argumentation. Il déclare à son tour : "La panenka, c'est plutôt la ruse, c'est pas l'éloge du mou. Le mou, je le laisse aux chats. Et quand on est un homme, il ne faut jamais être mou, vous le savez très bien (confie-t-il, dans une allusion pleine de subtilités à l'adresse de la jeune journaliste qui l'interroge et qui d'ailleurs s'esclaffe de plaisir en entendant les propos du très estimé et graveleux monsieur Pivot). Je ne vais pas entrer dans les détails. Je suis pour la vigueur. Il faut être vigoureux. L'éloge de la mollesse, ce n'est pas ma conception de la vie, tout simplement. En règle générale, le secret de la vie, c'est la vigueur", conclut-il, dans un presque-aphorisme.
La critique de la mollesse par un Bernard Pivot est on ne peut plus classique, séculaire. On y retrouve la sempiternelle allusion sexuelle, et surtout cette volonté de lui nier toute existence dans le monde. Elle est le péché par excellence, le mal, et elle n'a, tout simplement, pas droit de cité, sinon à la marge, sous la forme de quelques langueurs orientales qu'on s'octroie sur l'édredon !
Pourtant, avec la panenka, Bernard Pivot a tort. Il s'agit bel et bien d'un objet mou.
De ce tir au but si particulier les spécialistes disent : "Avec la panenka, on frappe un penalty sans le frapper". On précisera : "Il s'agit de frapper le ballon avec une certaine force pour en faire un objet mou.
Sa trajectoire en cloche témoigne bien que le tireur n'a pas voulu lui donner la vigueur si chère à Bernard Pivot. Et pour s'en convaincre, il suffit de regarder trois des panenkas les plus fameuses de l'histoire du foot.
N'en déplaise à Bernard, la mollesse a bien droit de cité sur les terrains de foot depuis au moins 1976 (et même depuis cette finale, le nom de HOLLAND, ce gros mou, qui figure sur un panneau plublicitaire en retrait du but ! )
Antonín Panenka´ s penalty (EURO 1976 in Belgrade. Czechoslovakia vs. Germany)
Antonín Panenka (born December 2, 1948 in Prague) is a former Czech footballer. An attacking midfielder known for the quality of his passing and his free kicks, Panenka played for Bohemians Prague...
Pirlo's 'Panenka penalty' - Italy v England
Italy legend Andrea Pirlo looks back at his memorable Panenka penalty against England at UEFA EURO 2012 - part of UEFA.tv's My Magic Moment series. Subscribe: ...
La volonté n'est pas tout
extrait de la nouvelle : "les années de bureau"
L’ennui était profond, être ici plutôt que là, quelle importance maintenant. L’horreur de faire des choses qui ne restaient pas l’envahissait. Il prit la décision de choisir l’inutile, d’être rebelle à une réalité qui de toute évidence lui échappait.
Il devait bien tirer des conclusions. Ses efforts de quatre années pour accéder à une normalité se soldait par un échec. Ils avaient juste grignoté sa vie.
Dans son ventre, il trouvait du dégoût. Il le sentait également aux creux des omoplates et il se transmettait sans résistance à toutes les extrémités de son épiderme.
Peut-être aurait-il pu se secouer un peu. Serrer les mâchoires, contracter le ventre et se laisser parcourir par un flux nerveux qui lui permettrait d’accomplir un nouveau petit tour. La sociabilité, l’ambition l’avaient quitté ; sa seule idée était d’avoir la paix.
― Il y a des gens qui n’ont vraiment rien à faire, c’est net, ils sont dans leur coin, ils bougent pas, tu as l’impression qu’ils n’ont qu’une seule ambition en tête, c’est qu’on les laisse tranquilles, venait lui dire Br. son directeur de département, comme un écho à ses propres pensées.
―Tu fais allusion à qui ?
― Oh j’ai pas de nom particulier en tête.
À l’âge de cinq ans il se souvenait qu’on lui demandait déjà de se secouer. Alors il "se secouait", se ramassait sur lui-même, les bras entre les cuisses serrées. Devant son bureau d’écolier, il tressaillait d’énergie. Sans résultat tangible ; le mal était trop lointain.
Maintenant il s’acceptait comme petit employé, ses efforts passés d’intégration lui donnait au moins l’avantage de vivre au milieu de gens qui ne lui demandaient rien. Il vivait sur un capital de confiance qu’il pouvait commencer à entamer (...)
Dans cette ville... by Christophe Eloy (Paperback) - Lulu
http://www.lulu.com/shop/christophe-eloy/dans-cette-ville/paperback/product-22351579.html
La nouvelle "les années de bureau" est incluse dans le recueil "dans cette ville..."
La mort, la vie, etc,
CorpsTransparents & HommeBlanc - Régine Gaud
La mort, la vie ne sont pas avec Spinoza, comme par exemple dans la théorie freudienne, deux principes, Eros et Thanatos, qui s'opposent irréductiblement. Comme il l'écrit : « il ne peut y avoir dans le sujet des choses de nature contraire parce que dans ce cas quelque chose pourrait le détruire »
Pour le philosophe, la mort ne s'oppose donc pas frontalement à la vie. Elle n'a pas d'existence en soi, pas d'essence mais elle est un simple sous-produit de la vie. Elle est une conséquence de la vie. Ou encore, une propriété, une fonction de la vie qui produit un rapport de décomposition là où la vie est un rapport de composition : celui-ci serait interne, alors que ce qui décompose un rapport, pour une chose, un corps, un individu, aurait toujours une cause externe.
On peut confronter utilement Spinoza avec la biologie contemporaine. Ainsi pour Jean-Claude Ameisen dans « la structure du vivant », « chaque cellule est en permanence en train de « se suicider ». Ce qui la retient, c'est sa voisine, ou une de ses voisines, qui l'informe de la nécessité d'en suspendre l'exécution car elle est encore utile pour les autres. Bien loin d'être un corps qui tend à persévérer dans son être, la cellule aurait au contraire une tendance à l'auto-destruction. La mort viendrait alors de l'intérieur.
Mais là, à mon avis, il y a une question d'interprétation des faits. En effet, du point de vue de la cellule voisine, on peut interpréter cette action qui consiste à inciter sa cellule d'à côté à suspendre l'exécution de sa mort comme une tendance à persévérer dans son être, puisqu'en retour « elle sait » que cette incitation à vivre lui sera adressée également. Parce qu'il s'agit de composer des rapports encore et encore. « Compose des rapports ou crève » semble être « l'alternative éthique » du monde cellulaire.
De fait, ce qui produit la mort d'une cellule, ce n'est pas sa tendance à l'auto-destruction, mais plutôt l'absence d'incitation de ses voisines à vivre. Ce qui est bien une cause externe.
Du coup, au niveau de l'ensemble cellulaire, cette dépendance / interdépendance est à proprement parler existentielle. Son existence dépend de la dépendance / interdépendance de chacun des corps qui le constitue. (Ce qui entre nous soit dit, est, on ne peut plus spinozien.)
Enfin, toujours au niveau de l'ensemble cellulaire, ce qui constituerait pour Spinoza un individu, est-ce qu'on n'obtient pas, cette fois, une puissance interne qui tend à perséverer dans son être, de lui-même, en lui-même, par lui-même, pour lui-même ?
La Sculpture du vivant, Jean Claude Ameisen, Sciences humaines - Seuil
La Sculpture du vivant, Jean Claude Ameisen : La sculpture du vivantL'opposition entre la vie et la mort est pour nous si " naturelle " qu'il aura fallu des siècles pour la remettre en question
http://www.seuil.com/ouvrage/la-sculpture-du-vivant-jean-claude-ameisen/9782757841808